Minuit - TaeKook

Noir - Garance

Noir-Garance

Viens me voir.
Viens me parler.
Viens m'observer.

TaeHyung et JungKook. JungKook et TaeHyung. Ils sont assis, éloignés dans la ville, ils pensent l'un à l'autre. C'est une prière à l'amour, qui se fait sans un geste, qui se fait en silence. C'est une prière à l'amour, qui est et qui existe. La seule prière qui résonne encore dans le chaos.

Un mélange de souvenirs et de fragments de couleurs. Ou alors de lumière.

JungKook est assis en tailleurs sur sa couchette, dans le dépôt qui grince et qui tangue. Leur planque c'est comme un bateau, un tas de ferraille qui s'enfonce dans l'océan. Sauf que l'océan s'en est allé. Et des gouttes d'eau tombent du plafond. Des gouttes d'eau tombent des tuyaux. C'est une goutte en plein milieu de son front, qui s'étend entre ses paupières closes. Ses sourcils relâchent la tension qui lacère son crâne. Il sent la substance froide passer de son nez, à sa pommette, se prendre pour une larme et couler, couler jusque ses lèvres. Baiser de la nuit.

Ta main me manque. Et ta bouche. Son absence. A endormi la mienne.

Il baisse la tête, sort le livre de sa veste, l'ouvre, relit ce qu'il a déjà lu. Il passe ses doigts sur les restes de pages arrachées. Il observe ces idéogrammes de charbon qu'il a lui même tracés. C'était il y a longtemps, sur quelques coins blancs. Oui il y a des millénaires de là. Il s'attarde sur les pages qui ont été marquées. Elles parlent toutes d'amour. JungKook relit les passages qui parlent d'amour. Croyance enterrée. Oasis dans le désert.

Des gens passent devant lui, tout autour, loin, près, il l'ignore. Près d'une porte, YoonGi discute avec NamJoon. Il murmure ce qui est important. Et ses yeux toisent l'être hermétique tout en parlant. C'est JungKook. Mais s'en rend-il même compte ?

JungKook a une migraine digne d'un orage. Chaque coup de tonnerre est une pensée. Deux pensées martelées dans sa tête. Celle insoutenable, que TaeHyung ne connaisse jamais la fin du bouquin. Et l'autre, une pensée qui le sauve autant qu'elle l'achève. Comme ça :

Je suis là, assis. Je lis ce livre entre mes doigts salis.
Je m'appelle JungKook. Il s'appelle TaeHyung.
Je suis là, et j'ai l'impression d'être seul, tout seul.
Je suis la personne la plus seule qui ait jamais existé.

Soudain, il regarde sa main. Une des blessures s'est ouverte. Fragrance de garance empourpre le bandage. Comme les tâches de peinture ancrées sous ses ongles, jadis, celles qui ont guidé ses doigts jusqu'à sa paume, dans une bibliothèque abandonnée, c'est là que nous sommes nés.

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Viens m'écouter.
Viens me comprendre.
Viens m'aider.

TaeHyung se berce près des flammes immortelles. Il ne connaît pas l'heure. Qu'est-ce que le temps ? Il y en a peu que ça intéresse. Assis dans un autre fauteuil ramené par Hoseok, couvert d'un drap troué, il se perd dans sa tête. Jin le regarde penser, de ce même air qu'il avait le jour précédent, ou celui d'avant, quand il regardait le feu. Il semble si loin d'eux, si seul, indéchiffrable.

« -TaeHyung ? »

Le susnommé a les yeux qui se réveillent.

« -Qui est-ce que tu cherches ? »

TaeHyung s'est tourné vers Hoseok, mais a l'air de voir complètement à travers.

« -Quelqu'un d'important.

-Et s'il est mort ? »

TaeHyung ne répond pas. Son regard se perd à nouveau.

« -Il a un nom ?

-Oui.

-Tu es bien mystérieux.

-Il m'a appris à l'être. »

Nouveau silence. On les croirait endormis. Hoseok demande :

«-Qu'est-ce que tu feras si tu survis?»

TaeHyung le sonde. Il voit chez lui des tas de choses étranges. De l'espoir par exemple. Et beaucoup de chagrin. Est-ce que c'est sincère ? Lui, est sincère. Lui, l'a toujours été.

« -Je pars d'ici. »

Un lourd moment passe. Ses interlocuteurs ont l'air égaré. Quelque chose ne va pas. C'est une chose qui ne va jamais.

« -Partir c'est mourir. »

C'est Jin qui a parlé. TaeHyung le fixe, sans crainte, sans ressenti, juste comme si une âme à qui on avait retiré l'enveloppe fixait une autre âme qui elle ne veut pas quitter son enveloppe. Jin déglutit et retourne à sa précédente contemplation. Il ajoute pourtant :

« -Et puis pourquoi partir ? On a tout ici. »

TaeHyung ne peut empêcher un coup d'œil à la ville atrophiée. Il sait. Il sait que Jin ne croit pas ce qu'il dit. Mais qu'il a tellement envie d'y croire qu'il y croira toujours. Hoseok baisse les yeux à son tour, coupable d'une pensée que personne ne lui a jamais reprochée. Ils veulent y croire. Qu'ils y croient. Jusqu'au bout. TaeHyung n'en pense pas grand chose. Lui, il est sincère, et ne fait que comprendre ce qu'auparavant il n'a jamais compris.

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Surface
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Les flammes remuent dans le cylindre de métal, comme pour se libérer. Envoûté, TaeHyung sent ses paupières tomber. Et dans le sommeil qui le gagne, il ne peut retenir le froid qu'il abrite, et alors il ne peut s'empêcher de penser :

« -Rester c'est mourir aussi. »

Mais la nuit fait taire son esprit, pose sa main sur son front, et attend.
Attends car c'est bientôt l'heure.
Et qu'il n'a qu'une chose à faire.

Viens m'endormir.