Chapitre 6

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Quand la conférence fut enfin terminée et que Gabrielle rejoignit la voiture, j'eus le droit à ma leçon de morale. Elle se glissa dans l'habitacle en hurlant pour parvenir à couvrir le bruit de mon autoradio.

- Oh, mais c'est pas vrai ça, gronda-t-elle en baissant le volume jusqu'à ce que la musique soit de nouveau supportable. Qu'est-ce que tu fous ? Tu sais qu'au-delà de quatre-vingts décibels tu peux gravement endommager ton audition ?

- Désolé, j'entendais rien avec tout ce bruit dehors, mentis-je en mettant le contact.

- Tu crois vraiment que je vais te croire ? Pourquoi t'es parti ?

Mon cœur se serra.

- Avoue que tu te faisais chier, répliqua-t-elle aussitôt ce qui m'empêcha de lui mentir.

- Oui c'est ça !

- Oh c'était incroyable Maggie, tu as tout loupé. Ce cœur tu aurais dû voir ce cœur, s'extasia-t-elle des paillettes plein les yeux. On se serait cru en plein milieu d'un film de science-fiction. C'était de la folie.

- Si tu le dis !

- En tout cas il n'a pas fait honte à sa réputation, tu as vu le mec ? Ce Charles Potens c'est vraiment une bombe.

- Mouais ! répondis-je pour ne pas me laisser la chance d'y repenser.

- Toi, si ça continue, tu vas finir bonne sœur. Moi je te le dis.

Sa phrase eut au moins le don de me dérider et elle réussit à m'arracher un sourire.

- Il n'a pas succombé à tes charmes ? la taquinai-je joyeusement.

- Non, mais il a fait une annonce fracassante.

- Laquelle ?

- Il va donner quelques courts aux troisièmes années de médecine durant les jours qui viennent, c'est pas trop cool ça ? Ça me laissera largement le temps d'affiner ma tactique.

- Mais il n'est pas médecin ! m'offusquai-je presque qu'elle puisse avoir la possibilité de le revoir et pas moi.

- Tu écoutes ce que je te dis chaton ? C'est un génie. Cette prothèse cardiaque, il l'a réalisée tout seul de A à Z. Personne au monde ne possède le QI de ce type.

- Ok d'accord !

- Au fait, j'ai mis ton nom sur le formulaire !

- Quel formulaire ?

- Oh un bout de papier qu'ils distribuaient à la fin de la conférence pour faire leurs statistiques, tu vois bien. Nom, prénom, âge, sexe, numéro de téléphone...

- C'est pour quoi faire le numéro ? m'étonnai-je.

- Sans doute pour que l'Université nous prévienne des conférences à venir.

- Ah ça non ! Ne compte plus sur moi pour ce genre de truc. C'était la dernière fois que je t'accompagnai, râlai-je.

- Compris Madame la rabat-joie.

***

J'étais enfin rentrée chez moi, dans ce petit deux-pièces confortable et chaleureux, accueillie comme il se doit par mon adorable de boule de poils, Squeezy, mon chat. Ce mignon petit charmeur avait volé mon cœur dès notre premier regard. Il s'était réfugié sur le bord de ma fenêtre, un soir où une pluie torrentielle s'était abattue sur la ville. Il n'était encore qu'un chaton et je n'avais pas pu résister au tressautement de ses petites moustaches quand il s'est mis à miauler de toutes ses forces. Bien sûr que je m'étais laissée embobiner, mais c'était de bonne grâce. Depuis, il n'avait plus jamais quitté mon appartement.

Éreintée, je sautai dans mon pyjama et me faufilai jusqu'à mon lit, relevant la couette douce et moelleuse au moins jusqu'à mes oreilles. Squeezy me rejoignit comme d'habitude pour que nous entamions notre petit rituel. Tous les soirs, c'était la même chose. J'avais besoin de lui et il avait besoin de moi. J'allumai la télévision, remontai mon oreiller contre l'appui-tête et mon petit chat venait se rouler en boule contre mon flan attendant impatiemment que je lui gratte le bidon jusqu'à ce qu'il s'endorme.

Sentir le petit corps chaud de Squeezy sous ma main me faisait toujours du bien. Je relâchai toujours la pression après quelques ronronnements apaisants et ce soir j'en avais bien besoin. Ma petite peluche vivante, à la robe noire et blanche, faisait tout ce qu'elle pouvait pour m'aider à lâcher prise, mais, ce soir, rien n'y faisait. En règle générale il ne nous fallait pas plus de dix minutes pour nous assoupir tous les deux. Là, je peinais à m'endormir. Même la télévision n'y pouvait rien.

Je n'arrivais pas à m'enlever Charles Potens de la tête. À chaque fois que je fermais les yeux, je revoyais son regard braqué sur moi, les courbes de sa musculature et entendais le timbre haletant de sa voix comme si j'y étais. J'étais tellement surexcitée que, lorsque je réussis enfin à m'endormir, je fis d'horribles cauchemars dans lesquels il glissait ses mains sur moi avec désir. Je me réveillai en sursaut, transpirante de dégoût quand il prit ma main pour la faire glisser dans son pantalon.

C'était inconcevable, inenvisageable. Ce fantasme bien agréable dans mes songes se transforma en une scène abjecte et traumatisante à mon réveil. Le réveil afficha 3 h 47. J'avais finalement réussi à m'endormir, mais si c'était pour endurer ça, je préférais ne plus jamais dormir. Je repliai mes jambes contre ma poitrine, cherchant à me cajoler moi-même pour me convaincre que tout ceci n'était qu'un rêve.

Je pris conscience que quand bien même un homme me plairait un jour, je n'étais pas encore en possibilité de lui offrir une histoire d'amour normale et épanouissante. Conclusion, je ne serai jamais comme les autres.

Cœur ArtificielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant