Chapitre 16

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Nous sortîmes du café, débouchant sur une terrasse bruyante et encore plus encombrée qu'à mon arrivée. Des tables et des chaises avaient été ajoutées un peu partout jusqu'à paralyser totalement l'usage premier du trottoir. Les piétons sur leur 31, se rendant à leur festivité du samedi soir, étaient obligés de marcher sur la chaussée s'ils voulaient poursuivre leur route.

La nuit était tombée et de grandes guirlandes style guinguette s'agrippaient en une succession de vaguelette après les quatre arbres en pot qui étaient censés délimiter et contenir la possible dispersion des tables. L'air était doux et sentait délicieusement bon la nourriture des restaurants avoisinants, charrié par les vents. Ce samedi soir avait quelque chose d'agréable et de particulier.

Charles réajusta le col de son manteau, essayant de faire disparaître son visage sous les pans de tissus. Il ne faisait pourtant pas si froid et, à vrai dire, ce look guindé ne lui ressemblait pas. En tout cas, il ne m'avait jamais habitué à ça, pour peu qu'il m'ait habitué à quoi que ce soit.

Nous nous faufilâmes à travers la fosse, cherchant le chemin le plus court pour atteindre nos voitures sans trop obliger les gens à se déplacer sur notre passage. Charles partit devant, fendant la foule pour me permettre au mieux de progresser.

Tandis que nous piétinions pour tenter de nous extraire de la masse, j'aperçus, par hasard, à seulement deux ou trois tables de là, une femme dont le téléphone était braqué sur nous. Je marquai un arrêt, beaucoup trop intriguée par ce geste pour poursuivre ma route. J'aurais parié qu'elle nous prenait en photo, mais je n'avais pas les moyens d'en avoir la confirmation. Et puis, elle fit sans doute une mauvaise manipulation (je l'espère pour elle car sinon elle n'était vraiment pas futée) car son flash se déclencha sur moi. Elle s'en rendit compte et rangea précipitamment son téléphone dans sa poche et fit mine de siroter son cocktail avec détachement.

Charles réapparut à mes côtés, plutôt grognon.

- Je croyais que tu me suivais ! Qu'est-ce que tu fais ?

- Cette femme vient de me prendre en photo ! déclarai-je abasourdie. Ça ne va pas, pourquoi elle fait ça ? 

- Parce que tu es avec moi ! C'est exactement ce que j'essayai de t'éviter. Demain nous serons certainement dans tous les magazines people.

- Hein ? paniquai-je. Mais pourquoi ça ?

- Sais-tu qui je suis ? pouffa-t-il doucement amusé par ma gêne.

- Je ne sais pas ! Le prince Charles apparemment, grognai-je.

Cette situation ne m'amusait pas du tout. Il avait peut-être l'habitude de tout ça, des filles qui pâment devant lui, de la foule qui se presse contre lui et des gens qui vous prennent en photo sans raison, mais pas moi. Penser que mon visage pourrait figurer dès le lendemain dans les tabloïds ne m'amusait pas du tout.

Charles perçut mon angoisse et m'attrapa la main vigoureusement pour m'entraîner dans sa course. Son geste fut aussi surprenant que déstabilisant. Il me cramponna avec ferveur et nous extirpa en quelques secondes de la foule d'hommes et de femmes attablés devant leurs verres.

Notre périple fut bien trop court pour moi. Il me lâcha la main si vite. De nombreuses années s'étaient écoulées sans que je ne prenne plaisir à ce genre de contact. En y réfléchissant, je n'avais jamais eu l'occasion d'apprécier cela en fait. On m'avait ôté cette joie avant même que je puisse y goûter, transformant trop tôt ce geste simple en dégoût.

Je regrettais déjà la chaleur de sa peau, sa douceur et sa poigne. Notre contact n'était pourtant pas grand-chose, mais j'avais été transporté. C'était bien plus que deux mains entrelacées. C'était pour moi un échange très personnel d'affection, le summum de l'intimité, alors que pour lui, ça ne devait rien signifier. Il ne s'agissait que d'un geste banal sans conséquences. Pourtant, j'y perçus comme une pointe de tendresse et d'appartenance. J'aurai pu trouver n'importe quel prétexte pour qu'il recommence, me prouvant par la même occasion que c'était aussi important pour lui que ça l'avait été pour moi.

Je fus déçu qu'il rompe ce lien aussi brusquement, me laissant toute étourdie par l'importance du pas que je venais de franchir vers la guérison. Il se dirigea, sans prêter attention à mon trouble, jusqu'à une Audi A5 noire aux vitres teintées et aux jantes rutilantes. Pas du tout son genre, pensai-je. Il ouvrit la portière arrière comme l'aurait fait un chauffeur particulier et me fit un signe de tête.

- Montes !

- J'ai une voiture, lui fis-je remarquer.

- Je te ramènerai s'il n'y a que ça.

- Non, je vais prendre la mienne, insistai-je.

- Comme tu voudras, bougonna-t-il en claquant sa portière. Suis-moi !

Qu'est-ce qu'il croyait ? Bien sûr que j'allais le suivre.

Cœur ArtificielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant