Chapitre 76

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Lorsque mes yeux entrèrent en contact avec celui de l'homme en face de moi, mon cœur descendit de plusieurs étages, comme lâché dans le vide. Ma tête se mit à tourner et je sentis mon sang se glacer. Devant moi, en pleine conversation des plus cordiales avec mon petit ami, se trouvait mon agresseur, l'homme qui m'avait violé. Au début, il ne me jeta que de brefs regards en coin et puis, au fur et à mesure, il m'observa avec plus d'insistance.

- Nous nous connaissons, pas vrai ? me dit-il en me tendant la main.

Je ne pus faire l'effort surhumain de lui rendre la politesse. C'était plus fort que moi, je ressentais encore trop bien ses caresses sur ma peau, sa main posée sur ma bouche, sa voix à mon oreille. Jamais de ma vie je n'avais pris autant sur moi. En l'espace de quelques secondes, j'étais redevenue une adolescente apeurée, muette et vulnérable. Toutes les larmes du monde ne m'auraient pas sortie de cet enfer.

- Je vous présente Margaret, ma compagne, me présenta Charles à mon bourreau.

- Margaret, mais oui, s'extasia-t-il soudain comme s'il avait une illumination. Ma fille et vous étiez très amies plus jeunes.

Je saisis la main de Charles et la serrai à ne plus sentir mes propres jointures. Je savais que cet homme était médecin, mais combien de pourcentages de malchance y avait-il pour que je me retrouve face à lui ? Une violente envie de vomir m'envahit. Charles commençait à peine à sentir la force avec laquelle je m'évertuai à lui réduire les doigts en bouilli. Il baissa d'abord son regard sur nos mains jointes et mes articulations aux bords de la rupture puis, il passa discrètement son regard de moi à notre invité.

- Margaret est-ce que ça va ? Tu es toute blanche, tu ne te sens pas bien ? s'inquiéta-t-il.

- Je... Je vais faire un tour aux toilettes, réussis-je à bredouiller faiblement. Excusez-moi !

Je volai en dehors de son champ de vision, m'échappai de la bulle dans laquelle il me retenait en m'obligeant à partager le même air que lui. Je courus aux toilettes pour dame aussi vite que possible et remerciai le machisme médical qu'il y ait plus d'homme que de femme exerçant ce métier, ou tout du moins qui se rendaient disponible pour ce genre de conférence. Pour une fois, la queue se situait au niveau des hommes, me laissant le loisir d'être seule.

Une fois dans les toilettes pour dames, je me précipitai vers une cabine et, genoux à terre, vidai tout le contenu de mon estomac et bien plus encore dans les cabinets. Une vague de larmes m'envahit pendant plusieurs minutes, jusqu'à ce que la sonnerie intimant la reprise de la conférence ne retentisse. Quand je sortis des cabinets, je me dirigeai jusqu'au lavabo afin d'évaluer les dégâts. Je n'étais vraiment pas belle à voir. Je n'étais même plus blanche, j'étais translucide. J'entrepris de me débarbouiller quand la porte des WC s'ouvrit sur mon tortionnaire. Immédiatement, je me tétanisai.

- Ce ne sont pas les toilettes pour hommes, bafouillai-je comme si l'essentiel était là.

Je fis quelques pas en arrière pour m'éloigner de lui, mais il ne se démonta pas. Il fit mine de se laver les mains, comme si de rien n'était.

- Ah Margaret, ça fait un moment qu'on ne s'était pas vu ! Ça fait combien ? Dix ans ?

- Pitié, allez-vous en, le suppliai-je comme à l'époque.

- Qu'est-ce qui t'arrive voyons ? Tu n'as pas à avoir peur de moi. Tu venais sans cesse à la maison.

- Allez-vous en ! hurlai-je soudainement.

Je ne sus pas où je trouvais cette force, mais j'avais retrouvé ma voix. La petite fille laissa un peu plus de place à l'adulte pour gérer la situation.

Cœur ArtificielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant