Chapitre 10

356 30 0
                                    


Tant pis pour Charles, il rappellera, pensai-je. Gabrielle m'arracha un sourire quand je la vis porter en gloire au-dessus de sa tête ce que j'imaginai être deux margaritas. Le barman se glissa derrière elle et posa sur sa tête un gigantesque sombrero du plus ridicule effet. Ça sentait la soirée interminablement longue, mais j'étais prête à boire jusqu'à oublier toute cette journée.

Je remontai sur mon tabouret et posai mon portable sur le comptoir. Cette conversation téléphonique n'avait rimé à rien du tout. Pourquoi avait-il raccroché si brutalement, lui qui c'était donné tant de mal pour trouver mon numéro ? C'est vrai que j'avais été un peu dur avec lui, mais il ne pouvait pas débarquer comme ça dans ma vie et tout obtenir de moi à condition qu'il le désire lui et uniquement lui.

J'empoignai ma margarita et en fit couler la moitié cul sec dans mon œsophage. Gab me lança un regard décontenancé et accepta enfin de poser son verre pour vérifier que tout allait bien pour moi. J'avais énormément de peine pour elle. Je détestai lui mentir. Elle avait vraiment le béguin pour Charles alors je me voyais mal lui avouer que je venais de raccrocher avec lui il n'y avait même pas de ça une minute.

Je ne savais pas si c'était l'alcool, mais je fis une chose stupide.

- Ça va poulette ?

- Pas trop ! grommelai-je en forçant le trait.

Avec un peu de chance elle sera attendrie par ma tristesse et mon repenti et elle ne m'en voudra pas autant que je le pensai.

- Qu'est-ce qui t'arrive ? C'est à propos de ta mère ?

Je la vis faire signe au barman de nous remettre la même chose et je compris que le chemin du retour se ferait à pied ou en taxi.

- Ce n'était pas ma mère au téléphone. Je t'ai menti.

- C'était qui ?

Gab fronça ses petits sourcils parfaitement épilés et me fit une moue qui signifiait "Dis-moi vite ce que tu me caches". C'était une amie en or, la seule avec qui j'avais envie de passer tout mon temps libre. Je n'arrivais pas à croire que j'allais lui faire ça. Je décidai que la vérité serait sûrement moins brutale si j'y allais par palier.

- J'ai rencontré quelqu'un ! commençai-je.

- Tu veux dire un homme ?

- Oui Gab, pas un extraterrestre, un homme, m'agaçai-je.

- C'est lui que tu avais au téléphone ?

Tout à coup, j'eus un élan de lucidité. Je ne pouvais pas lui faire ça. Il n'y avait absolument rien entre Charles et moi. Ce n'était qu'un gros dragueur qui n'avait pas pour habitude qu'on le repousse. Il s'intéressait à moi uniquement pour cette raison. Ça allait lui passer et dans deux jours je n'aurais plus aucune nouvelle de lui. Dans ce cas pourquoi lui faire de la peine ? Je pouvais tout aussi bien garder ça pour moi et voire comment les choses évoluaient même si je savais déjà qu'il n'y aurait aucune sorte d'évolution possible.

Je repris un peu le sourire, soulagée d'avoir pris la décision qui s'imposait. Je dus tout de même monter un bateau assez solide pour ne pas me faire démasquer.

- Oui c'était lui !

- Qu'est-ce qu'il voulait ?

Elle ne tenait plus en place. Gab était si excitée pour moi qu'elle ne voyait même pas qu'elle en faisait des tonnes. Elle se saisit du bol de cacahuète devant nous et commença à le picorer comme si elle était au cinéma.

- Je ne sais pas trop ! Me voir je crois.

- Et qu'est-ce que tu as répondu ?

- Rien ça a raccroché.

Je ne mentais pas vraiment sur ce coup-là, j'omettais simplement le nom du garçon en question.

- Comment il s'appelle ?

Gab m'avait prise de court. La panique jouant son rôle, ne sortit que le seul nom susceptible de coller un temps soit peu avec la réalité.

- Robin !

À peine avais-je fini de prononcer son nom que Gabrielle se jeta sur mon téléphone portable. Prise de panique à l'idée que mon secret soit découvert, je tentai par tous les moyens de le récupérer.

- Gab rend moi ça. Qu'est-ce que tu fais ?

- Je te connais ma vieille. Si je ne le fais pas pour toi tu ne lui récriras jamais. C'est ta chance de ne pas mourir seule alors je te donne un petit coup de pouce.

- Je ne crois pas que ce soit utile, grondai-je.

- Alors..., pensa-t-elle à voix haute en fouillant mon répertoire. Robin, Robin, Robin. Ah Robin.

Elle avait tout de même un sacré culot. Une chance pour moi que mon mensonge tienne un minimum la route sinon j'étais cuite.

- Alors qu'est-ce qu'on lui met ?

- On ? Rien du tout, tu vas me rendre mon téléphone.

- Ce que tu peux être vieux jeu. Laisse-moi faire.

De Maggie :

Salut Rob ! On se retrouve demain au COCO vers 20 heures. J'ai hâte de te voir, j'espère que toi aussi.

- Rob ? Tu ne crois pas que c'est plutôt...

- Envoyé, clama-t-elle avec victoire en me rendant mon portable.

- Quoi ? m'horrifiai-je. Tu n'as pas fait ça ?

- Bien sûr que si ! Tu avais besoin d'un coup de pouce et les copines c'est là pour ça pas vrai ?

- Ce message ne me ressemble pas du tout, grondai-je.

- S'il n'y a que ça, tu auras tout le temps de lui montrer qui tu es vraiment demain soiiiiiiiiiir.

- Oh tais-toi !

J'étais fichue.

Cœur ArtificielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant