Chapitre 72

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Charles et moi reprîmes la voiture pour nous rendre à l'autre bout de la ville, dans un restaurant réservé un peu plus tôt par mon bien aimé. Il s'agissait d'un restaurant de haut standing bien loin de mes habitudes. Au vu de la devanture et du tapis rouge qui recouvrait les marches de l'entrée, j'eus d'abord quelques réserves. Bien que je sois fort coquette aujourd'hui, j'étais quasiment sûre de ne pas être assez habillée pour l'occasion, Charles non plus d'ailleurs, toujours chaussé de ses baskets trouées. Pourtant, ça ne sembla pas l'inquiéter outre mesure. Il franchit le pas de la porte comme s'il s'était s'agit d'une boulangerie. Je le suivis, épaules basses, mains devant la taille, très intimidée par le personnel en costume trois-pièces.

Charles prononça à peine un bonjour au maître d'hôtel et s'engouffra dans la salle avec une aisance déconcertante. Tout le monde se retourna sur notre passage ou plutôt sur le passage de Charles. Avait-il été reconnu ou faisait-il tâche, je ne saurais le dire. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il arriva au fond de la pièce, un serveur souleva une lourde tenture de velours noir pour laisser apparaître une porte dérobée dans le mur. Je devais bien avouer que ça, c'était la classe.

Nous nous engouffrâmes à l'intérieur et je découvris avec effarement une gigantesque verrière pleine de plantes tropicales et exotiques. Une bande-son reproduisant des cris de singes et de perroquets finissait de clôturer l'ambiance. J'avais le sentiment d'être en Amérique du Sud, l'humidité en moins. C'était spectaculaire. Et, au milieu de toute cette végétation luxuriante, une table de fer-blanc pour deux personnes était installée tout près d'un point d'eau d'où se jetait une cascade.

- Ça te plaît ? murmura Charles à mon oreille.

Je ne pus m'empêcher de me retourner et de l'embrasser sur la bouche, lui qui ne se laissait que très rarement approcher de la sorte. Il eut pourtant l'air d'apprécier ce moment.

- C'est à ça que ça ressemble quand tu prends une réservation à la dernière minute ? ricanai-je. Rappelle-moi de te sortir à l'improviste plus souvent.

- Tu as vu, cette fois je n'ai pas privatisé le restaurant ! fit-il référence avec humour à notre premier rendez-vous dans le fameux restaurant japonais.

Il se dirigea vers l'une des deux chaises qu'il tira avec galanterie pour que je m'y installe après quoi il s'assit à son tour. Charles commanda du saumon pour nous deux et le personnel, après avoir fait mille courbettes pour nous servir de l'eau, se fit rapidement congédier. Charles aimait la bonne cuisine, mais il aimait par-dessus tout qu'on le laisse tranquille. Tout le monde devait être briffé car, déjà dans le restaurant japonais, le personnel semblait s'envoler lorsqu'il arrivait quelque part.

Il but une gorgée d'eau et se racla bruyamment la gorge.

- Je me sens extrêmement bête ! Pourquoi tu ne me l'as pas dit ? attaqua-t-il sans que je ne sache à quoi il faisait allusion.

- Pas dit quoi ?

- Ta mère parle beaucoup, c'est vrai, mais elle est presque aussi bavarde que tu es muette. Tu ne te dévoiles pas énormément et j'ai toujours été assez délicat pour ne pas te forcer la main, continua-t-il.

Je sentais le coup fourré venir. Subitement, je ne fus plus si à l'aise que ça en Amérique du Sud.

- De quoi tu parles ?

- Du fait que tu sois vierge ! lâcha-t-il soudainement.

Quoi ? Dans mon corps, mon cœur ne fit qu'un bon. Étais-je vierge ? Durant ma vie, c'était une question que je m'étais posée un million de fois et à laquelle je n'avais toujours pas trouvé de réponse. Techniquement, je savais que la réponse était non, mais, au fond de moi, je préférais penser que je ne le serai plus le jour où j'aurai un véritable rapport consenti. Quoi qu'il en soit, ce qu'avait bien pu dire ma mère tout à l'heure n'avait aucune valeur.

Cœur ArtificielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant