Chapitre 37

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Charles me rejoignit pour la deuxième fois de la journée près du petit étang où je me sentais si bien. Que demander de plus, qu'un peu de soleil et de chaleur, que le doux bruissement des feuilles à travers les branches qui se balancent et effleurent doucement la surface de l'eau créant une multitude de petites perturbations aussi fascinantes qu'apaisantes à regarder ? Rien si ce n'était faire tout ça en compagnie de l'homme que l'on aime, accompagné d'une bonne pâtisserie réalisée avec amour.

Il vint s'asseoir à mes côtés contre le tronc d'arbre, une assiette de gâteau dans la main et une petite cuillère dans l'autre. Je posai mon téléphone dans l'herbe et saisis ladite assiette qu'il me tendit.

- C'est déjà prêt ? m'étonnai-je que le chocolat ait eu le temps de figer correctement en si peu de temps.

- Goûte, tu m'en diras des nouvelles !

- Je suis obligée de dire qu'il est bon ? l'asticotai-je.

- C'est toi qu'il l'a fait ! me rappela-t-il.

- Tu parles, je n'ai rien fait du tout, je n'étais que les petites mains.

Il semblait beaucoup plus calme que tout à l'heure, plus posé et semblait avoir oublié ses instincts primaires. La fatigue reprenait le dessus visiblement. Je plongeais ma cuillère dans le chef-d'œuvre de douceur, le traversant de part en part pour en apprécier toutes les couches en même temps. C'était absolument divin, il n'y avait rien à ajouter.

- Charles c'est vraiment trop bon !

Il sourit de satisfaction et se décolla de l'arbre pour s'allonger de tout son long dans l'herbe, les bras sous la nuque.

- Tu en veux ? lui proposai-je en remarquant qu'il ne s'était même pas pris d'assiette pour lui.

- Non merci ! Je ne mange pas de sucre rapide, refusa-t-il poliment.

- Ah bon ? Pourquoi ?

- Je fais très attention à mon hygiène de vie.

Je réfléchis quelques instants puis me remémorai un détail qui anéantissait totalement son propos.

- Pourtant, le soir où tu es venu me chercher dans le bar tu as bu un whisky si je me souviens bien.

Il se redressa sur ses coudes et eut l'air amusé que je me souvienne de ce genre de détails.

- J'avoue, assuma-t-il sans ressentir la moindre honte ou le moindre sentiment de culpabilité. J'étais très stressé ce soir-là.

- Ah, le boulot ! déclarai-je comme s'il s'agissait d'une évidence.

- Non, j'avais rendez-vous avec une femme incroyablement belle qui ne semblait pas du tout encline à faire le moindre effort pour m'apprécier. C'était un défi de taille qui impliquait un remontant de taille.

- Une femme incroyablement belle ? repris-je ses mots en rougissant légèrement devant le compliment.

- Oui enfin ça ne valait pas tellement le coup, continua-t-il en se rallongeant dans l'herbe. Elle m'a giflé cette nuit-là.

Je ne relevai pas. Nous avions dit que nous n'en reparlerions plus. Je sentais bien que derrière cette petite pique il y avait un homme blessé dans sa fierté. De toute sa vie, personne n'avait jamais dû oser poser la main sur Charles Potens. Il ferma les yeux et inspira profondément. Je posais la part de gâteau par terre et vins m'allonger à ses côtés. Instinctivement, il dégagea l'un de ses bras pour m'inviter à venir me pelotonner contre son torse. Rien ne m'empêcha d'accepter la situation.

Il y avait des moments, comme celui-ci, où je sentais que je n'avais rien à craindre, que ce contact trop rapproché n'était pas si dangereux. C'était un homme important, avec beaucoup de travail et j'avais la nette impression qu'il était souvent fatigué. Vu son état de décontraction actuel, il ne pouvait pas avoir autre chose en tête que de se reposer un instant.

Je me lovais tout contre lui et il ramena son bras sur mon épaule. Notre étreinte était agréable et participa à me mettre un peu plus en confiance vis-à-vis de notre couple. J'avais la confirmation que je n'aurais pas affaire à un animal avide de procréation 24 heures sur 24.

- Je n'avais jamais pris le temps de venir ici ! murmura-t-il pour ne pas perturber le silence apaisant qui se créait entre nous.

- Ça fait longtemps que tu vis ici ?

- Je ne sais plus trop, peut-être six ou sept ans. Avant j'étais toujours en voyage où je vivais dans des chambres d'hôtels.

- Tout seul ?

- Oui, mais c'était mieux comme ça. Je n'avais pas le temps d'avoir la moindre conversation avec qui que ce soit si ce n'était pas pour du travail.

- Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui ?

- Le premier cœur artificiel a été un succès et même si je travaille toujours sur des améliorations significatives, c'est un peu moins la folie. J'attends les premiers résultats de vie du porteur du dernier cœur que j'ai créé.

- Il peut y avoir des complications ? lui demandai-je très intéressée.

- Si j'ai travaillé correctement il n'y a aucune chance pour que le patient subisse le moindre rejet ou que le cœur soit défaillant. Je suis confiant à un point que j'attends simplement qu'on me dise que les transplantations ont été un succès.

- Et il faut attendre combien de temps pour certifier que ça a marché ?

- En général le rejet intervient très vite après l'opération et si ça ne fonctionne pas la personne peut décéder en quelques mois. Par précaution, le délai pour déclarer que le cœur artificiel est un succès est de deux ans à peu près.

- Et ça fait combien de temps qu'il a été transplanté ?

- À peu près un an.

- Tu te rends compte de toutes les vies que tu vas pouvoir sauver ?

Il ne releva même pas. Les compliments ne semblaient pas lui faire très plaisir ou alors il était trop pudique pour les prendre pour lui. Il fit un virage à 180° dans notre conversation.

- Je suis vraiment désolé, mais je vais devoir abréger notre week-end.

Il n'avait jamais été question de passer le week-end ici mais bon, soit. Je ne relevai pas. Inutile de le vexer pour quelque chose qui se résolvait de lui-même.

- Un imprévu ?

- Si on veut. Il y a des choses dont il faut que je m'occupe pour le travail.

- Ça a un rapport avec ton coup de téléphone de tout à l'heure ? le questionnai-je comme une vieille commère.

- Oui ! Mais c'est ma faute. J'ai donné la fâcheuse habitude aux personnes qui travaillent pour moi d'être toujours disponible donc...

- Excuse-moi, mais si les transplantations sont déjà faites sur quoi tu travailles exactement ?

- Des améliorations, de la paperasse et je gère mes nombreuses entreprises. Il ne suffit pas de mettre un cœur dans une cage thoracique et d'attendre que ça se passe, s'amusa-t-il. Pour tout t'avouer il ne s'agit pas seulement du travail. Il faut vraiment que j'aille me coucher, rit-il très franchement cette fois. Paul va te ramener chez toi.

- OK ! Prends soin de toi, chuchotai-je au creux de son oreille.

Je déposai un tendre et long baiser sur le coin de ses lèvres. Il se laissa faire, las, et n'essaya même pas d'en obtenir plus.

- Merci pour tout, lui fis-je, reposes-toi bien.

Je me levai et laissai Charles allongé dans l'herbe, déjà touché par Morphée et à bout de forces.

Cœur ArtificielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant