Chapitre 50

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Je me réveillais ce matin-là, autrement dit quelques heures plus tard, avec un sentiment de plénitude incroyable. Charles et moi nous étions endormis, pelotonnés l'un contre l'autre, cherchant pour sa part le contact rassurant de mes bras comme le ferait un petit garçon apeuré qu'il aurait fallu réconforter. Je dus battre plusieurs fois des paupières avant que ma vision ne soit totalement nette.

Charles avait disparu, ne restait que la faible empreinte de son corps sur le matelas et dans les draps froissés, une délicieuse odeur de crêpes s'insinuait dans la chambre et Squeezy, généralement présent à chacun des réveils de sa maîtresse, avait déserté son poste. Ce réveil pas comme les autres me fit un peu peur, j'avais le sentiment, et c'était vrai, que ma petite vie de célibataire était désormais bien loin.

Je me glissai doucement hors des draps et m'assis au bord du lit. Lorsque mes deux pieds touchèrent le sol, la raison de ma présence en ces lieux se rappela à moi sous la forme d'une vive douleur qui m'arracha une grimace. Bien que mon pied soit plus gonflé encore qu'hier, la douleur était gérable. J'empoignai mon téléphone et vis plusieurs appels en absences de Gab ainsi que de nombreux SMS. J'effaçais le tout sans même y jeter un coup d'œil. Ses explications sur son manque de tact ne m'intéressaient pas. Elle était d'ailleurs très mal placée pour me parler du penchant volage de mon petit ami, elle qui chevauchait pas moins d'une quinzaine d'hommes différents chaque mois.

J'attrapais mes béquilles et me traînais enfin hors de ma chambre, suivant le fumet délicieux des pâtisseries chaudes jusqu'à la cuisine. Charles se tenait devant la plaque de cuisson sur l'îlot central, une spatule à la main. Il fit basculer sa dernière crêpe de la poêle directement sur une pile d'autres crêpes s'empilant sur une assiette.

Était-on plusieurs à venir déjeuner ? pensai-je. Mon homme avait revêtu un pantalon en lin marron et un T-Shirt noir. Il posa sa poêle dans l'évier et toujours sans avoir conscience que j'étais dans la pièce, il caressa ce malicieux Squeezy qui était grimpé sur le plan de travail et se régalait de thon, si on en croyait la boîte vide à côté de sa gamelle. Il n'en finissait plus de ronronner tandis que Charles discutait avec lui de son solide appétit.

Je repris ma marche et l'insupportable et régulier cliquetis de mes béquilles les alerta enfin de ma venue. Si Squeezy se contenta de relever brièvement la tête et de retourner aussi sec à son repas, Charles, quant à lui, m'observa longuement en esquissant un sourire.

- Bonjour ! lança-t-il brièvement sans trop attarder son regard sur moi.

- Bonjour, répondis-je un peu surprise par son manque d'enthousiasme.

- Tu as faim ? me demanda-t-il en se penchant sur le plan de travail pour observer le petit matou se délecter de sa pâtée et se lécher les babines à chaque bouchée. J'ai fait des crêpes.

Je ne répondis pas tout de suite à son invitation de crêpes et me dirigeai vers l'un des tabourets installés tout autour du plan de travail. Je me hissais sur mon siège en silence, attendant de voir si Charles allait se montrer un peu plus chaleureux qu'à mon arrivée. Rien...

Charles se contentait de regarder mon chat tout en buvant son jus de fruit, ignorant totalement ma présence. J'avais beau me creuser les méninges, je ne comprenais pas ce qui lui prenait ce matin. Pourtant, quand il m'avait rejoint dans la nuit, il était si proche de moi, si sensible, si humain... Qu'est-ce qui avait bien pu changer entre-temps sachant que nous avions dormi ?

Je pris le parti de ne pas rentrer dans son jeu et de feindre l'indifférence à mon tour. Peut-être finira-t-il par me dire ce qui ne va pas ?

Je saisis une crêpe dans l'assiette juste à côté de lui et pour cela je dus m'allonger à plat ventre sur la table. Charles ne put ignorer ma présence plus longtemps et me fit enfin l'honneur de discuter avec moi. Dès les premières minutes, je sus que l'indifférence totale n'aurait pas été une si mauvaise chose en fin de compte.

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