Chapitre 57

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J'avais gravi les escaliers de l'étage et m'étais assise sur la moquette bleu roi du couloir au pied de sa porte, sans un mot. J'écoutais avec déchirement ses cris de douleur depuis plus d'une dizaine de minutes sans percevoir d'amélioration dans son humeur. Parfois, j'entendais des objets se briser contre les murs avec fracas puis, le silence. Chaque fois, je m'imaginais qu'il allait mieux, qu'il avait réussi à extérioriser toute la colère et la peine prisonnière à l'intérieur de lui et puis, ça reprenait de plus belle.

Paul apparut avec un plateau, une bouteille de Whisky et un verre, la mine affreuse de l'homme qui se savait obligé de faire quelque chose de mal. Je me redressai et lui barrai la route.

- Qu'est-ce que vous faites avec ça ? le rabrouai-je.

- C'est une demande de Monsieur Potens ! se contenta de répondre le majordome les mains tremblantes.

- Rapportez ça à la cuisine ! me fâchai-je. Il n'a pas besoin de ça.

- J'exécute les ordres, se défendit-il.

- Soyez plus qu'un employé, soyez un ami pour lui. Vous savez très bien qu'il ne boit pas. Ça risque de lui faire beaucoup plus de mal que de bien !

Paul réfléchit quelques secondes, fit un pas dans ma direction, bien décidé à obéir comme un bon petit soldat à son maître, mais un nouveau cri suivi d'un grand fracas eut raison de sa détermination. Je fermai les yeux pour trouver la force de ne pas fondre en larme à l'appel de ses épouvantables et déchirantes supplications.

Finalement, Paul fit demi-tour, emportant avec lui le poison qui aurait pu nourrir le mal de Charles. J'étais heureuse d'avoir suffisamment d'autorité sur Paul pour réussir à protéger Charles de lui-même. Il était clair qu'à ce moment précis, personne ne semblait pouvoir le faire à part moi.

Cette situation avait assez duré. Je fis croller la poignée de la porte avec insistance tout en frappant de toutes mes forces sur cette dernière pour attirer l'attention de Charles.

- Charles ! l'appelai-je. Ouvre-moi, je t'en prie. Je... Je suis désolée !

Je ne savais pas pourquoi je dois l'être, mais je l'étais. Sincèrement !

Les cris laissèrent soudainement place aux pleurs. Enfin, je pus tristement me vanter de connaître le son de la désolation et de l'impuissance. Je me laissais glisser le long de la porte jusqu'à ce que je touche le sol. Je mourrais d'envie de me laisser aller moi aussi et de pleurer, mais je n'avais pas le droit d'être égoïste. Il avait besoin de moi. S'il n'avait plus le courage d'être fort, je le serai pour lui.

- Je n'aurais jamais dû aborder le sujet, continuai-je la voix tremblotante d'émotions. Paul m'avait pourtant prévenu. Charles, murmurai-je en guise de supplication. Laisse-moi entrer !

Je sentis la porte trembler et entendis un son mat me parvenir, celui de son corps glisser lentement jusqu'à atteindre le sol à son tour. Dos à dos, séparés par une simple planche, ses pleurs se firent moins désespérés.

- Mes parents sont morts dans un accident d'avion le lendemain de leur retraire, débuta Charles la voix si enrouée par le chagrin que je ne la reconnus même pas. J'étais déjà adulte et responsable depuis longtemps parce que ma mère m'avait eu très tôt.

Je ne voyais pas bien pourquoi il me racontait tout ça, mais pour une fois qu'il se confiait à moi, je l'écoutais avec la plus grande attention. J'aurais voulu lui présenter mes condoléances, mais j'avais peur de rompre le fil de ses confessions.

- Une quinzaine d'années après ma naissance, alors que j'intégrais déjà l'université, mon absence leur donna des envies d'enfants. Ils ont eu Chloé, ma petite sœur. Elle avait huit ans quand ils sont morts, moi 23. Mon père était un homme d'affaires très riche et j'ai hérité de tous ses biens ainsi que de la garde de Chloé. J'aimais ma sœur plus que tout.

Cœur ArtificielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant