Après l'orage

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Les nuages menaçant formaient un voile opaque au-dessus du vaste bâtiment public

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Les nuages menaçant formaient un voile opaque au-dessus du vaste bâtiment public. Curieusement tout semblait silencieux, le temps s'était lui-même figé dans une torpeur muette où il retenait son souffle tandis que J, clopin-clopant s'avançait vers les marches en marbre blanc. Une fois de plus B-man lui avait faussé compagnie et il s'était retrouvé seul. Mué par son infaillible instinct, il avait erré autour du bâtiment qu'il avait dominé il y a peu encore. Il la cherchait. Il avait l'impression de la chercher en permanence sans toujours pouvoir la trouver. Mais pas aujourd'hui. Le vent lui porta le tintinnabule des grelots de sa si douce complice, il se laissa guider par ce rire mécanique vers son cœur jumeau.

Elle était là, couchée sur les marches d'une pâleur inquiétante, dans une position que même au fond de sa démence, il jugea terrifiante. J la contempla en silence pendant un long moment, espérant un réveil qui ne vînt pas. Harley lui parut minuscule soudainement. Avait-elle toujours été si petite ? Si fragile ? Si rouge ? Il huma l'air glacé, la gorge subitement serrée et s'approcha. Arrivé à son chevet, l'angle de ses bras et de ses jambes, à rebours des lois de la nature, le dégoûta. Harley ressemblait à une marionnette dans son joli costume noir et pourpre. Mais une marionnette désarticulée, inerte, qui se serait fracassée sur les marches de la mairie de Gotham. Pleuvait-il au-dessus de leurs têtes ? J n'aurait su le dire fasciné par le spectacle que lui offrait son amante, mais ce devait sûrement être le cas, car l'eau autour d'elle se répandait. Mais depuis quand l'eau était-elle rouge ? J ne savait pas. Elle rampait vers lui lentement, essayant sans doute de lui dire quelque chose, mais quoi ?

Son regard fut un instant attiré par Mistah J. La poupée qu'il lui avait offerte, il n'arrivait même plus à se rappeler quand précisément, gisait dans le même état pitoyable à ses côtés. Voire pire. La tête du clown avait littéralement volé en éclat et des morceaux de porcelaine étaient éparpillés un peu partout aux alentours. Sans qu'il comprenne véritablement pourquoi, J eut la nette sensation que ce n'était pas bon signe. Mais non, il se faisait des idées ! Comment la tête d'une poupée écrasée contre le sol, pouvait-elle être un présage ? C'était tellement...dément quand on y réfléchissait...et le Joker dans sa tête, y réfléchissait un peu trop bruyamment, au grand dam de J qui ne savait plus du tout comment se remettre les idées à l'endroit...

Avec Harley rien n'était simple, alors il se dit que ce ne devait pas être très important, et puis tout ça n'était qu'une blague n'est-ce pas ? Il s'accroupit au-dessus de la jeune femme pour avoir la confirmation de ses soupçons. Il était sûr que d'une minute à l'autre elle allait bondir sur ses pieds en criant « SURPRISE ! » et alors ils riraient, riraient et elle se moquerait de lui et lui se vexerait en maudissant le jour où il l'avait rencontré, et ensuite ils prendraient la fuite pour faire des tas de projets de blagues, oh oui ! Ils en riraient longtemps ! Il écarquilla ses yeux noirs d'enfant inquiet et se figea, attentif au moindre souffle, au moindre bruit, à la moindre expression qui trahirait la jolie Harley. Ses yeux dardaient le visage de poupée de la jeune femme avec une acuité féroce. Le visage a quelques centimètres du sien, il guettait les signes, mais Harley faisait de sacrées bonnes blagues. Elle était bigrement douée !

Combien de temps resta-t-il ainsi ? Il ne put le dire, mais son regard papillonnait au-dessus d'elle avec avidité. J n'était pas patient, c'était là son moindre défaut, et la blague d'Harley commençait à l'agacer. Il avait compris, elle était très douée, mais ils devaient fuir, il fallait que la farce s'arrête tout de suite, car au loin, la ville commençait à sortir de sa torpeur. Il caressa doucement son visage, espérant que ce geste tendre la convaincrait de revenir, de cesser cette comédie. Mais Harley ne bougea pas. Au loin les sirènes de police se firent entendre, mais il n'y prêta aucune attention. Peut-être qu'il s'y prenait mal ? Il fallait sans doute qu'il fasse quelque chose de précis, pinçant ses lèvres scarifiées, il pesa un instant le pour et le contre avant de se lancer :

« - Harley ? »

Rien. Aucune réaction. L'eau rougeâtre continuait sa course autour du corps fin et souple de la jeune femme, J sentit son cœur s'emballer tandis qu'il prenait le visage de sa poupée entre ses mains, il l'approcha avec d'infinies précautions et son inquiétant sourire souffla contre les lèvres froides :

« - Harley ? »

Puis, il se recula, mal à l'aise et scruta intensément l'acrobate. Non. Harley n'était pas là. Elle gardait les yeux désespérément clos, insensible à la proximité de son amant. Mais peut-être qu'il ne s'adressait pas à la bonne personne. Oui c'était sûrement ça ! Harley ne pouvait pas lui répondre parce qu'elle n'était tout simplement plus là, tout comme l'avait été Harleen durant la chrysalide. Quelle idée follement lumineuse, ça ne pouvait être que ça ! J eût la nette impression qu'Harleen aurait détesté qu'on la confonde avec Harley, elles étaient si différentes l'une de l'autre. C'était regrettable d'ailleurs car elles étaient adorables l'une et l'autre, lui n'avait jamais vraiment pu choisir. Harleen lui en voudrait certainement d'avoir fait autant de blagues avec Harley, mais elle comprendrait, s'il y avait bien une chose que savait faire Harleen Quinzel, c'était comprendre.

« - Harleen ? » murmura-t-il plein d'espoir.

Pourquoi ne répondait-elle pas ? Lui en voulait-elle ? Respirant avec difficulté, son cœur tambourinant douloureusement contre ses côtes, J sentit que quelque chose lui échappait. Qu'elle lui échappait. Ça ne ressemblait pas vraiment à Harley de l'ignorer ainsi. Or elle ne pouvait pas, elle n'avait pas le droit. Harley lui appartenait, corps et âme, elle le savait. Harleen aussi lui aurait répondu. J était inquiet, ni l'une ni l'autre ne voulaient revenir, mais elles étaient obligées ! Elles ne pouvaient pas le laisser ici ! Pris de panique, il cueillit délicatement entre ses mains le visage de la jeune femme et entama une litanie de sa voix sèche et chevrotante, allant du grave diabolique à l'aigu hystérique, mêlant les prénoms et les visages de ces doubles de lui-même en suivant un rythme chaotique :

« - Harley...Harleen...Harleen...Harley...Harley...Harley...Harleen... »

Il caressa son visage avec avidité mais le crissement des pneus de la voiture de ses hommes de mains le sortit de sa torpeur.

« - Patron ! Patron les flics sont après nous il faut y aller tout de suite ! »

J redressa la tête et regarda Bugs sans comprendre. Celui-ci fût parcouru d'un frisson en découvrant le corps ensanglanté de la jeune femme sous le Joker. Il ouvrit de larges yeux horrifiés face à ce tableau et fut pris d'une terreur sourde quand le regard noir et cruel du « patron » se posa sur lui sans comprendre. Déjà les voitures de police remontaient l'avenue principale, et la lumière rouge des gyrophares accentuait l'expression impassible qui se peignait sur le visage du Joker. Bugs répéta sa phrase d'une voix hésitante et le Joker, comprenant soudain l'urgence de la situation, se jeta dans la voiture qui démarra en trombes. Elles pouvaient bouder, ça lui était égal, entouré du bruit des coups de feu et des hurlements des sirènes, le Joker ne se soucia pas de ce qu'il allait arriver à sa complice. Qu'elle aille au diable ! Elle et ses fichues blagues ! Elle passait son temps à partir soit en catimini, soit en hurlant qu'elle ne reviendrait jamais, mais au bout de trois jours, oh surprise ! Elle réapparaissait comme par magie, et rampait vers lui. Il ne s'inquiétait pas, Harley et Harleen lui appartenaient, toutes les deux, de façon totale, absolue et sans aucune limites. Cette fois-ci ne différerait en rien des précédentes. Qu'elle que soit celle qui reviendrait, Le Joker savait qu'elle reviendrait. Oui, oui, il en était certain. Indubitablement.

SyndromOù les histoires vivent. Découvrez maintenant