Whatta man

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PARTIE 8 : WHATTA MAN

La lenteur d'une caresse est un ballet. Les mains dansent jusqu'à toucher l'autre dans son intimité. C'est un frôlement, une douceur, un interdit qui ne demande qu'à être libéré par un regard, par un mot afin que les sentiments prennent la place dans les cœurs de deux êtres qui vont apprendre à s'apprivoiser.

Il l'avait trouvé là, assise sur les marches, les bras entourant ses genoux où elle avait posé son visage, caché derrière sa chevelure brune. Au début, il avait presque hésité et il était resté à la regarder pendant que son cœur se serrait dans sa poitrine. Puis les battements reprirent un rythme plus calme. Il regardait son corps se soulever au rythme de sa respiration lente qui laissait presque penser qu'elle s'était endormie. De légers soubresauts lui firent comprendre qu'elle pleurait. Elle semblait si fragile, recroquevillée sur elle-même, serrant son corps comme pour se protéger contre des attaques qu'elle était la seule à voir. Il s'approcha, ses pas feutrés par la moquette épaisse.

Doucement, il posa sa main sur son épaule, rejetant ses cheveux qui lui cachaient le visage. Il passa son bras autour de sa taille. D'une voix douce, il l'appela en se serrant davantage contre elle. Elle émit un long soupir, comme si elle reprenait sa respiration. Il posa sa main sur la sienne. Une main douce qu'il avait tant envie de poser contre son torse pour qu'elle ressente tout ce que sa tristesse pouvait réveiller en lui. Il caressa ses cheveux doucement pour lui signifier qu'il était présent à ses côtés même si pour le moment les mots n'étaient pas nécessaires.

Lorsqu'elle leva son visage vers lui, elle ne fut pas surprise. Lui seul pouvait avoir ses gestes pour elle. Quand ses yeux plongèrent dans les siens, c'est comme s'il soulevait toute la douleur qui sommeillait en elle depuis des années et qu'elle portait encore chaque jour à bout de bras. Son regard implorant lâchait toutes les mers du monde sur ses joues. Assise à ses côtés, le regardant pendant qu'il prenait plus fermement son corps contre le sien, sa voix se fit claire, alors que même ses lèvres tremblaient.

— Tu te souviens quand Vincent a raconté qu'il m'avait croisé dans sa cage d'escalier ? J'étais venu pour voir son voisin. A l'époque, il s'agissait de mon petit ami. Je l'ai rencontré à la fac et malgré l'arrêt de mes études, j'ai gardé des contacts. On s'est croisé plusieurs fois à des soirées étudiantes. Je crois par hasard mais après tout je ne suis plus sûre de rien. Ce soir-là, je venais, je ne sais pas, je ne sais plus. Dire ce que j'avais sur le cœur, lui exprimer ce que je ressentais à son encontre. Parce qu'il m'a trahi ! Mais quand je suis arrivée devant sa porte. J'ai entendu qu'il n'était pas seul. Ce que j'avais à lui dire, tout ce que je pensais de lui, de ce qu'il a fait... Elle les a dit avec sa voix, avec ses mots à elle. Elle les a dit pour moi à ma place mais avec autant d'abjection et de haine, que celles que j'avais nourries au fond de moi depuis des jours, depuis des heures et depuis toutes ces minutes où j'avais marché jusqu'à chez lui, pour essayer de me calmer avant d'arriver devant sa porte. Quand j'ai entendu la voix de sa mère ! La façon dont elle lui parlait. Je me suis dit que les mots étaient déjà assez lourds de sens. Elle lui a demandé de faire ses valises, qu'elle ne voulait plus le revoir, que son coeur de mère saignait qu'il ait fait souffrir une femme alors qu'elle se battait contre la maladie et qu'il n'était plus rien à ses yeux. Qu'il n'était plus son fils et que jamais elle ne pourrait lui pardonner ce qu'il avait fait.

Romain l'écoutait, son bras entourant ses épaules, son corps contre le sien, sa main serrant la sienne, ses yeux plongés dans la profondeur de son âme.

— C'est lui qui a vendu les informations concernant la maladie de ma mère.

Romain ferma les yeux un instant. Un instant un peu plus long qu'un simple battement de cils. Il voulut lui dire à quel point il était désolé, mais elle reprit la parole.

— C'est à cause de lui que ma mère a été traquée sans relâche. Je ne me serais jamais douté qu'il aurait pu faire ça. On était ensemble depuis plusieurs mois, alors ça me semblait normal que je lui en parle. Les évènements sont allés tellement vite. Je lui disais même que je ne comprenais pas comment ce journal pouvait tout savoir des faits et gestes de ma mère. Dès le début, ce journaliste attendait devant la porte. Et puis après six mois, je suis rentrée plus tôt et c'est là où je l'ai entendu échanger par téléphone. Je n'ai même pas réussi à faire exploser ma colère. J'étais totalement sous le choc. Les mots ne pouvaient pas sortir de moi. Il est simplement parti. Et le soir où je suis venue pour lui dire j'ai compris que la vie était déjà bien assez cruelle et qu'il n'arriverait jamais à trouver la paix dans son cœur.

Elle regarda sa main posée sur la sienne et la retourna enlaçant ses doigts aux siens.

— J'ai mis plusieurs jours à l'annoncer à ma mère. Il m'avait trahi mais moi c'est elle que j'ai trahi ! J'ai vendu son âme au diable, alors que son sang coule dans mes veines. J'ai divulgué la vie de la personne que j'aime le plus au monde. Sa maladie l'a tué à petit feu et j'ai moi-même craqué l'allumette pour embraser le bûcher. Elle est partie et chaque jour je ne peux m'empêcher de penser à elle, à ce qu'elle a vécu, à cette histoire.

— Katy ! l'interrompit-il. Tu n'es pas responsable de ce qu'il s'est passé.

Elle le regarda, comme si elle sortait d'une transe dans laquelle elle était plongée depuis plusieurs minutes, réalisant qu'il était là serrant sa nuque entre ses doigts, la caressant doucement, sa main dans la sienne.

— C'est ce qu'elle m'a dit, tu sais ? Mais, je ne peux m'empêcher de penser que les choses auraient pu être différentes.

— Katy ! Oui, ça n'aurait jamais dû arriver, mais ce n'est pas de ta faute. En tous les cas, tu ne peux pas continuer à croire ça. Tu ne peux pas porter le poids de la culpabilité toute ta vie. Même ta mère ne voulait pas que tu te sentes responsable et tu ne l'es pas. Katy ! susurra-t-il.

Elle regarda ses lèvres lorsqu'il dit son nom. Comment pouvait-il faire envoler les doutes qui la taraudait depuis tant d'années ? Comment arrivait-il à soulever ce poids qui était tombé sur ses épaules et qui ne faisait que plier son corps en deux dans une douleur qui ne la quittait plus ? Comment sa voix pouvait-elle être aussi douce, forte et si sûre à la fois ?

— Elle me manque tellement, souffla-t-elle.

— Je sais !

Il attira son front pour y déposer un baiser. Elle releva son visage pour le regarder. Elle n'était pas surprise de son geste, elle n'était pas choquée. Elle trouvait ses gestes tendres, son baiser doux, son regard profond. Il chassa une mèche de cheveux de son visage, passant son pouce sur sa joue pour en chasser une larme qui s'était échappée de ses longs cils. Elle regarda ses lèvres. Elles lui semblaient douces. Elle se demandait quel goût elles avaient et ce qu'elle pourrait ressentir s'il les écrasait contre les siennes. Il posa sa main sur sa nuque, la caressant doucement. Elle ferma les yeux lentement, sentant son souffle sur son visage.

Son téléphone se mit à sonner dans sa poche. La chanson "whatta man" des Slat N Pepa se fit entendre.

— Tu devrais répondre, suggéra Romain.

— C'est Vincent ! informat-t-elle sans même regarder son téléphone.

Au loin, elle entendit une porte souffrir, des pas feutrés sur la moquette.

— Katy, tu es là ? questionna une voix plus haut dans les étages.

Elle ouvrit les yeux, révélant ses prunelles à celles ambrées qui la fixaient.

— Oui, Vincent je suis là.

— Est-ce que tout va bien ? s'inquiéta son ami qui fit stopper la sonnerie du téléphone.

— Oui, ça va !

— Tu as vu Romain, Bareth est arrivée toute seule.

— Il est avec moi, renseigna-t-elle alors que son téléphone se mit de nouveau à sonner.

Elle entendit des pas résonner contre un parquet, des voix étouffées, la sonnerie de son téléphone s'arrêta et le silence se fit de nouveau entendre autour d'elle.

— Tu devrais répondre, c'est peut-être important, suggéra-t-il alors que le téléphone se remettait de nouveau à sonner.

Elle se leva, monta précipitamment les escaliers. Romain entendit ses pas monter, des voix surprises et puis le silence.

Le charme de l'instant était tombé et s'était brisé à ses pieds.

Battement d'elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant