Chapitre 50 / Alex

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Les gens disent que nous ne savons pas ce que nous avons avant de l'avoir perdu. Je dis que nous savons exactement ce que nous avons, mais que nous nous attendions pas à le perdre.

Je ne sais combien de temps je reste à fixer cette maudite écharpe, les genoux profondément enterrés dans la neige. La sensation de froid ne parvient pas à affaiblir mon corps.

Je ne la sens pas, tout comme mon coeur qui a cessé de battre face à la présence de ce ridicule bout de tissu.

Ce n'est pas ridicule car c'est le sien, celui d'Aria. Reconnaissable entre mille, il ne peut appartenir à personne d'autre. Sa tante a tricoté cette écharpe, je sais qu'elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux.

Les pompiers courent dans tous les sens mais je ne bouge pas. Revivre une deuxième fois ce qui nous a fait doucement mourir il y a peu est insurmontable.

Mon champ de vision est soudainement réduit à une silhouette. Je tourne mon regard dans la direction de l'homme qui s'accroupit face à moi.

Ses lèvres bougent, mais aucun son ne parvient jusqu'à mes tympans. Le pompier passe sa main devant mes yeux, comme un automate je la suis du regard. Plus aucun de mes sens ne fonctionnent. Ce terrible choc m'a privé de ce qui rend l'homme, humain.

L'homme d'une vingtaine d'année appelle un de ses collègues. L'autre pompier plus âgé, me plaque une couverture de survie sur les épaules. Les deux tentent de me relever, mais le poids mort que je suis dois peser une tonne.

Mon coeur palpite comme un fou de peur mais surtout de chagrin. Je ne peux pas imaginer qu'une telle chose ait pu lui arriver.

Je donne le peu d'énergie qu'il me reste pour me lever. Je marche avec difficulté dans la neige, mes membres engourdis par le froid me font ralentir.

J'essaye d'accélérer la cadence pour me retrouver rapidement derrière l'hélicoptère où se trouve désormais un camion de pompiers. D'autres personnes se trouvent à proximité et délimitent la zone à ne pas franchir.

Je m'approche davantage. À l'intérieur du camion, se trouve une sorte de bâche cachant quelque chose. Mon regard inspecte l'intérieur du véhicule, avant de s'arrêter sur une main.

Un flash puissant me parvient. Je pose mes mains sur mes tempes pour tenter de le faire taire.

Une masse couverte d'un drap blanc s'éloigne portée sur un brancard. Seule une main fraîchement calcinée dépasse me faisant doucement comprendre qu'un corps se fait transporter.

L'odeur de la fumée se mélangeant aux effluves sanguinaires m'apportent un haut le coeur.

Je reprends doucement connaissance sentant une main se poser délicatement sur mon épaule. L'homme me secoue et me sort de ma torpeur.

- Monsieur ça va ? Vous m'entendez ?

Je hoche la tête et part en direction du corps.

Il faut que je la vois une dernière fois.

Juste une dernière fois...

Les larmes continuent à couler le long de mes joues. Je ne cherche pas à les arrêter. Elles sont preuves de mon mal être qui me bouffe de l'intérieur.

Je suis tout proche mais un homme s'interpose devant moi. Il se précipite de fermer les portes de la camionnette.

Il m'empêche de la voir une dernière fois.

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