Chapitre VI

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Ce fut à l'aube que les maestros ouvrirent les yeux et l'horreur s'empara de Salieri lorsqu'il constata qu'ils avaient tous les deux bougé durant leur sommeil, se retrouvant donc collés l'un à l'autre. Le brun se dépêcha de se décaler avant d'aller se laver et se changer. Wolfgang prit ensuite sa place. Une fois cela achevé, ils retournèrent aux calèches et le trajet se poursuivit.

Ce cycle se répéta pendant encore huit jours. Ils permirent notamment aux deux hommes de se rapprocher un peu plus mais l'aîné ne s'était pas davantage ouvert, il avait néanmoins appris beaucoup de choses sur le passé du jeune génie à ses côtés.

Ils arrivèrent à Postdam, capitale du Royaume de Prusse, et y retrouvèrent Catherine de Russie ainsi que Frédéric-Guillaume II. Rosenberg et les deux musiciens s'inclinèrent par respect alors que leur souverain saluait ses égaux. Ils pénétrèrent dans le palais du monarque prussien et furent directement invités à se diriger vers le salon. Une discussion s'engagea entre la tsarine, l'Empereur et le Roi pendant que les maestros les écoutaient. Aucun des deux ne prêtait vraiment attention à l'échange des dirigeants ni même à l'absence de Rosenberg. Ils commencèrent même à discuter de bagatelles, histoire de passer le temps jusqu'à ce que l'on les congédie.

« Nous devons absolument empêcher les idées révolutionnaires d'arriver jusqu'à nos pays. Regardez ce qui est arrivé à la France ! Des massacres dans la capitale, le peuple qui se révolte. Cela ne doit pas nous arriver. Commença Frédéric-Guillaume II

-Excusez-moi.. ? Vous parlez de Paris ? Demanda Wolfgang, subitement intéressé.

-Pourquoi cette question, Monsieur...

-Mozart. Je suis le compositeur Wolfgang Mozart. J'ai été à Paris mais je n'ai rien vu de ce que vous décrivez. Ne seraient-ce pas là que des rumeurs ?

-Wolfgang, tu y es allé il y a trois ans. Beaucoup de choses changent en trois ans. La France est un pays aussi horrible que l'Italie, cela ne m'étonne guère qu'il y ait eu des révoltes. Et puis.. Cette discussion ne nous regarde pas vraiment. Lui fit remarquer Antonio, lui intimant de se taire.

-C'est vrai... Pardonnez-moi de vous avoir interrompu...

-Ce n'est rien, mon garçon. Le rassura la tsarine. Reprenez. »

Et le débat reprit entre les monarques éclairés et le conservatiste. S'ennuyant profondément, les deux compositeurs disposèrent et partirent explorer la ville, découvrant tout d'abord la Cour avant de fuir ces courtisans moqueurs et méprisants. Ils visitèrent plusieurs places et quelques monuments. Wolfgang marchait avec plus d'entrain que son comparse qui semblait plus le superviser qu'autre chose. Les passants auraient presque pu y voir un acte paternel ou fraternel si Salieri se montrait moins froid. Dès que le cadet commençait à faire du lèche-vitrine, le plus âgé le tirait par le bras, l'entraînant le plus loin possible des boutiques, faisant geindre le blond. Ils restèrent en ville un long moment avant de s'assoir dans un parc, contre un gros chêne. Mozart posa sa tête sur l'épaule de l'aîné qui n'eut pas le cœur de le repousser. Une brise fraiche caressa leurs visages, les faisant frissonner. L'Autrichien se blottit un peu plus contre lui, comme pour se protéger du vent. Leurs mains s'effleurèrent et un frémissement traversa le compositeur germanique.

« Ta peau est gelée...

-Arrête de parler pour ne rien dire, c'est agaçant. » Répondit-il sèchement

Le plus jeune ouvrit la bouche pour protester avant de la fermer, profitant simplement du maigre contact que Salieri lui accordait. Il n'osa pas caresser sa main, de peur de l'énerver et qu'il le rejette. Les deux hommes restèrent ainsi pendant un long moment, sans qu'un mot ne soit prononcé. Antonio leva les yeux vers le ciel, remarquant que le bleu azur avait laissé place à la nuit sombre et agréable du printemps de Postdam. Le plus âgé se leva et tira Wolfgang, le faisant se mettre sur ses pieds. Ils retournèrent tranquillement au palais, arrivant pile à l'heure pour le diner. S'installant avec les monarques, les maestros mirent néanmoins de l'écart entre eux et la royauté, quelque peu mal à l'aise de partager un repas avec des personnes de si haut rang. Après tout, ils n'avaient que faire des courtisans, c'était une routine d'être à leur table mais siéger aux côtés de l'Empereur d'Autriche, du Roi de Prusse et de la tsarine était loin de faire partie de leur quotidien. L'entrée arriva bientôt et le dîner se déroula dans un silence religieux, jusqu'à ce que Frédéric-Guillaume II se remette à parler avec ses deux comparses. Antonio les écoutait à peine, quelque peu perdu dans ses pensées. Il réfléchissait à propos de sa nouvelle et fragile proximité avec son cadet, se demandant s'il ne ferait pas mieux de couper les faibles liens qui les unissaient avant que tout ne dégénère de son côté. Le compositeur connaissait les dangers qu'engendrait la plupart de ses sentiments et s'il ne voulait pas retomber dans le même piège que dix ans auparavant, il se devait de se séparer de Wolfgang. Son regard s'assombrit en resongeant à ce moment si joyeux qui avait viré à la catastrophe. Un frisson le parcourut, lui faisant serrer ses couverts. Le blond à côté de lui posa une main sur la sienne, l'incitant à se calmer. L'Italien l'ignora plus ou moins volontairement, lui faisant retirer ses doigts d'un geste simple bien qu'un peu sec. Soupirant, l'Autrichien se reconcentra sur son entrée, mangeant tranquillement bien que refroidi par l'attitude toujours aussi rustre de Salieri.

MaestroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant