Chapitre XXIX

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Deux jours passèrent en conservant cette même routine et les deux hommes finirent par retourner à Vienne, dans un bien meilleur état psychologique que lorsqu'ils l'avaient quitté. Ils retrouvèrent bien assez tôt le train de vie éreintant que leur imposait leur statut. Plusieurs courtisans italiens continuèrent d'essayer de faire baisser la confiance en lui d'Antonio mais ce dernier parvint à garder la tête haute, exactement comme avant. Regards méprisants et hautains, rictus moqueurs sur les lèvres en traversant les couloirs, une prestance sans égale, la veste noire dont les pans volaient fièrement au gré de ses pas. Tous retrouvaient le véritable Salieri, celui qu'il avait toujours été et qui s'était quelque peu adouci depuis que Wolfgang était définitivement entré dans sa vie.

Les amants travaillaient ensemble sur une toute nouvelle oeuvre, une sonate pour deux pianos en utilisant en grande partie le contrepoint. Les deux ne cessaient de griffonner sur les partitions de l'autre, comme d'habitude. C'était leur façon de travailler depuis un petit moment et ils s'en amusaient presque. En seulement huit heures, le projet fut achevé et les deux hommes coururent au théâtre impérial, l'un surveillant et l'autre menant d'un main de fer les répétitions de La Flûte Enchantée. Les oreilles du brun savouraient la musique du jeune prodige de Salzbourg qui dirigeait calmement mais fermement son orchestre, l'air concentré. Se mordillant nerveusement la lèvre inférieure, le Maître de Chapelle retenait une légère toux pour ne pas interrompre la soprano qui chantait, parfaitement en accord avec les musiciens. A la fois de la répétition, l'homme ne put s'empêcher d'applaudir brièvement son amant sous le regard légèrement courroucé de Rosenberg. Au fond de la salle se trouvait un autre compositeur que personne n'avait convié mais qui vint malgré tout féliciter le virtuose. Haydn. Evidemment. Un regard froid et impassible se posa sur le père de la symphonie, l'Italien inspirant longuement pour se détendre. Une étreinte bien trop longue à son goût s'éternisa encore entre les deux Autrichiens qui discutèrent brièvement avant que le cadet ne croise le regard médusé de son aimé. Celui-ci se retira avec Rosenberg en grommelant, soudainement de mauvaise humeur. Lâchant un soupir, Wolfgang s'excusa auprès de son ami et les suivit, attrapant le poignet du latin, le faisant s'arrêter. Le Comte interrogea son éternel acolyte du regard et ce dernier lui demanda de partir sans lui avant de reporter son attention sur le compositeur germanique.

«Eh bien ?

-Ce n'était pas nécessaire de le regarder ainsi, tu sais.. Haydn ne te veut pas de mal.

-J'en doute fort. Tu es bien naïf parfois.

-Je ne vois pas en quoi.

-Tu l'intéresses, c'est évident.

-Tu te fais des idées !

-Il te dévore des yeux, et ça ne me plait guère.

-Quand bien même tu aurais raison, ce n'est pas lui que je regarde.

-Mais lui, oui. Méfies-toi. Je rentre, libre à toi de m'accompagner ou non.

-Je vais rester un peu ici, j'ai encore quelques bagatelles à régler avec l'orchestre et les cantatrices.

-En effet, tout n'était pas parfait et tu ne peux pas encore présenter ton opéra au public. Dans un ou deux mois, ce sera bon.

-Je n'ai pas encore l'aval du très divin Maître de Chapelle pour montrer à tout Vienne mon nouveau chef d'oeuvre ? Le taquina-t-il en riant légèrement

-Oh non, pas encore. Tu as l'aval pour la sonate mais pas pour ton opéra, désolé. Travaille encore un peu mais ne rentre pas trop tard.

-Hm! Promis!»

MaestroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant