Chapitre XX

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Fronçant les sourcils, les maestros se regardèrent et le plus âgé alla tirer la lourde plaque de bois, découvrant l'une des deux filles du marquis qui se triturait nerveusement les doigts.

« Père a dit...que vous étiez des musiciens... vous voulez bien nous jouer quelque chose.. ? Demanda-t-elle timidement

-Oui, avez plaisir. Vous avez un piano ?

-Hm ! Il est en bas...

-D'accord. Wolfgang, je vais jouer du piano en bas. Tu restes ici ou tu viens ?

-Je viens, quelle question !

-Eh bien dépêche-toi !

-Oh ça va, j'arrive ! » Grogna Wolfgang

Antonio attendit son comparse à la sortie de la chambre avant de fermer la porte derrière eux, une fois le plus jeune dehors. Ils descendirent au rez de chaussée et la petite fille les emmena au fameux piano, qui était en réalité un clavecin, mais la petite ne pouvait pas le savoir, auquel s'assit le brun, commençant à laisser danser ses doigts sur les touches. Il déchanta bien vite lorsqu'il se rendit compte après deux notes que l'instrument était complètement désaccordé. L'Autrichien grimaça aux sons, au même titre que son amant qui s'en alla voir les deux époux pour leur annoncer la nouvelle. Le mari lui répondit qu'il le savait mais qu'ils ne pouvaient rien faire pour. Le musicien lui demanda alors la permission de raccorder lui-même l'instrument, un simple hochement de tête lui donnant son accord. Il retourna alors vers le clavecin qu'il étudia pendant trente bonnes minutes avant de faire le nécessaire pour le raccorder.

Une fois l'instrument fonctionnel, l'homme commença à jouer, son amant s'asseyant à côté de lui, jouant alors à quatre mains sur l'étroit clavier.

« Ton piano était plus agréable... Lui chuchota le virtuose

-Je sais..tu le retrouveras bien assez tôt, ne t'en fais pas.. »

Ils ne savaient pas ce qu'ils jouaient, laissant leur fibre artistique et leur instinct musical les guider. Ils repassèrent plusieurs fois sur les mêmes accords alors que parfois leurs mains se croisaient et s'effleuraient. À un moment, les deux hommes voulurent jouer le même accord et se retrouvèrent dans une position plutôt improbable : Antonio avait ses doigts sur les touches blanches et entre ceux-ci se trouvaient ceux de son aimé qui tentaient de grappiller de la place sur les notes désirées. Le plus vieux entremêla doucement leurs doigts et déposa un discret baiser à la commissure de ses lèvres avant de déplacer ses mains vers une autre partie du clavecin, poursuivant leur morceau à quatre mains. Une telle alchimie était présente entre eux et, même si le clavecin produisait un son moins élégant que l'immense piano du Maître de Chapelle, leurs musiques se confondaient terriblement bien, formant une harmonie parfaite. Ils s'aimaient, se complétaient, autant humainement que musicalement.

Une heure passa durant laquelle les deux hommes jouèrent au clavecin, s'emmêlant plusieurs fois les mains, se taquinant sur leurs maladresses et échangeant parfois quelques pichenettes sur le front, l'arrière du crâne ou les côtes. Ils finirent par quitter l'instrument et demandèrent aux époux s'ils pouvaient partir. Ceux-ci les autorisèrent à s'en aller et les deux maestros ne se firent pas prier, partant visiter le Sestiere Cannaregio. Les rues étaient animées, et plusieurs femmes les regardèrent avec intérêt. Enfin, leurs regards se portaient plus sur le jeune homme à la crinière dorée plutôt que sur son comparse qui avait l'air d'un Italien banal à leurs yeux. L'une d'entre elles tenta de les aborder mains le cadet ne comprenait rien à ce qu'elle disait et le brun ne lui fit pas la traduction, non seulement parce qu'il n'en avait pas envie mais en plus parce qu'il n'appréciait nullement ce qu'elle lui disait, se contentant de serrer et desserrer discrètement les poings.

MaestroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant