Chapitre XI - Le Vide

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Il faisait sombre. Très sombre. Si bien qu'à côté de l'obscurité ambiante, même la peau d'un congolais aurait ressemblé à de la chantilly. Tant bien que mal, Fabiola se releva. Même si elle n'y voyait goutte, elle pouvait sentir la présence de quelqu'un à proximité. Elle appela :

- Martin ? Madame ?

Immédiatement, un faible gémissement retentit à quelques mètres devant elle, bien qu'il fut difficile d'évaluer avec certitude la distance tant les ténèbres étaient opaques. Prudemment, elle se dirigea donc vers l'origine du son, avant que quelque chose ne lui agrippe violemment la jambe et ne la fasse chuter lourdement à terre. Elle lâcha un juron. La chose tirait toujours sur sa cheville, la traînant sur le sol froid comme un sac poubelle. Enragée, Fabiola tentait frénétiquement de donner des coups de pied à la créature tout en lâchant une volée d'insultes, mais aucun de ceux-ci ne portait. Soudain, sans crier gare, la chose qui la tirait lâcha prise. La lumière se fit alors, inondant la pièce d'une clarté qui fit plisser les yeux à la jeune fille. Lorsqu'elle put enfin s'adapter à la luminosité, elle jeta un oeil dans le coin adjacent de la pièce. A demi-enfouis sous les décombres, Martin et Mlle Tirso-Molinier la fixaient avec des yeux ronds. Plus précisément, ils fixaient la créature qui lui faisait face. Fabiola se retourna alors vers celle-ci, et faillit tomber à la renverse. De taille et de morphologie humaines, elle était entièrement noire, et fixait les nouveaux venus de ses orbites vides desquels coulait un flot continu de ce qui semblait être des larmes. Elle possédait également un large trou dans la poitrine à l'endroit où aurait dû se situer son coeur. En réalité, on aurait davantage dit une ombre qu'autre chose, tant l'obscurité semblait irradier de son corps. Alors que Martin et sa professeure semblaient s'être dégagés des décombres sans trop de mal, ils scrutèrent les alentours. Si le sol était en pierre grisâtre, il n'en allait certainement pas de même pour les mur et le plafond, qui semblaient être faits de cette même obscurité ondoyante qui entourait le labyrinthe. De plus, le trou par lequel ils étaient venus avait totalement disparu, ne laissant pour preuve de leur chute que les décombres desquels ils venaient de s'extirper. La créature, immobile, continuait de fixer Fabiola sans vraiment la regarder. Elle ouvrit alors une bouche garnie de dents acérées, puis commença à psalmodier, d'une voix gutturale :

- Void. Emptiness. Nothing. There is nothing. Plus rien. Il n'y a plus rien. Il n'y aura plus jamais rien. Et tout est de votre faute.

Machinalement, il s'avança vers Fabiola, qui venait d'être rejointe par les deux autres. En réaction, ils reculèrent de concert. Continuant son monologue, l'ombre se mit à sourire de façon dérangeante :

- Tout va retourner au Néant. Vous. The void. That's my present. My gift for the void.

Martin, médiateur, tenta alors :

- On peut peut-être en discuter d'abord, Monsieur... l'ombre bilingue ?

Mais l'ombre avançait toujours, les faisant reculer davantage. Elle poursuivait sa psalmodie :

- Le jambon. Très peu pour moi. I prefer the sausages. C'est meilleur.

Soudain, il s'arrêta, puis se mit à hurler, la tête entre les mains. C'étaient les mêmes cris d'agonie qu'ils avaient entendus un peu plus tôt, lorsqu'ils s'étaient retrouvés face à leurs propres visages sculptés dans le mur. Fabiola en profita alors, et lui colla son poing en pleine face. S'il ne cilla pas, ses cris cessèrent, et il se remit à avancer vers eux avec ce même sourire malsain, mais la cadence semblait plus soutenue qu'auparavant. A force de reculer, les trois comparses allaient bientôt se retrouver dos au mur. C'est alors que Mlle Tirso-Molinier eut une idée. Alors qu'il semblait bientôt ne plus y avoir d'échappatoire et que l'ombre se rapprochait dangereusement, Claire s'arrêta soudain de reculer, et sprinta vers la créature, intimant aux deux autres de la suivre. Sans réfléchir, Martin et Fabiola foncèrent à la suite de leur professeure. Désorientée, l'ombre tournait frénétiquement la tête, alors que, sur la directive de Claire, ses proies se trouvaient désormais derrière elle. Tandis que la créature semblait déjà se retourner, Mlle Tirso-Molinier cria :

- MAINTENANT !

Dans un même effort, tous trois se jetèrent sur leur adversaire, qui fut projeté sur le mur qui ondoyait toujours. Dans l'incompréhension la plus totale, l'ombre se fit engloutir par celui-ci, lâchant un dernier flot de larmes sur le sol grisâtre.

Haletante, Claire murmura :

- Le néant... retourne toujours au néant. C'est élémentaire. Et je pense que cette chose vide, sans but, personnalité ou conscience en était une sorte d'allégorie, un peu de la même façon que ces murs. Quelque part, ça s'annule et se complète à la fois.

Alors que ses deux élèves l'écoutaient sans mot dire, la pièce disparut dans le même maelström psychédélique qu'à leur arrivée. Quelques secondes plus tard, ils se retrouvaient à nouveau dans une salle inconnue. En se relevant, ils réalisèrent que celle-ci était de taille relativement modeste, et que les couleurs de ses murs, de son sol et de son plafond semblaient en perpétuel changement, donnant à la pièce un aspect irréel. A l'opposé se trouvait également une sorte d'estrade, surplombée d'un tableau de craie sur lequel était écrit "Félicitations, camarades. Ce n'est pas encore aujourd'hui que vous finirez en pâté pour espagnol. (Jambon... espagnol... Je suis drôle, pas vrai ?)". En dessous du tableau, on pouvait facilement deviner un bureau, sur lequel était posé un objet sphérique. Le coeur de Martin s'emballa alors. Ce serait...?

- A voir ton regard, il semblerait que tu aies deviné, non ?

Tous trois sursautèrent. Sorti de nulle part, Sacha venait d'apparaître à gauche du bureau, jouant négligemment avec une petite clé dorée.

- Fort bien. Vous vous en êtes tirés. Avant toute chose, attendons les autres, vous voulez bien ? Ce serait dommage de commencer sans eux...

Il claqua alors des doigts, et les trois comparses furent comme frappés de paralysie. Il bâilla.

- Voilà, au moins je suis sûr que vous ne ferez pas de vagues. En attendant, vous pouvez admirer les magnifiques couleurs de cette pièce. Ce n'est pas à Bricomarché qu'on trouverait ce genre de peinture, pas vrai ?

Histoire d'une Ascension Où les histoires vivent. Découvrez maintenant