Chapitre XXXI - Déchirement

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Flottant au dessus du Paradis, le livre volant sur lequel se tenait Mme Lecourt décrivait de larges boucles dans le ciel. D'ici, elle avait une vue parfaite sur l'ensemble de l'endroit, et pouvait confortablement assister aux combats intenses qui s'y déroulaient. En effet, même si le Dom Juan avait pris trop d'altitude pour que quelqu'un de normal ait pu y voir quoi que ce soit à cette distance, le pouvoir de la Cardinale avait l'avantage de lui permettre de ne pas rater une miette du spectacle qui se déroulait en contrebas. Jetant tantôt un oeil vers l'Éden, où elle savait Montaigne aux prises avec Martha, tantôt vers le Prismarium, sur le toit duquel elle devinait sa collègue en pleine discussion avec Fabiola, elle soupira. Même si elle se devait de rester ici pour assurer leurs arrières en cas de pépin, elle s'ennuyait de pied ferme. Les combats auxquels elle assistait étaient divertissants, certes, mais ne la satisfaisaient pas pour autant. En réalité, elle serait bien partie prêter main-forte à l'un de ses collègues, mais ce faisant, elle avait peur de manquer le moment où l'un d'entre eux aurait réellement besoin d'elle.
Elle soupira à nouveau. C'est alors qu'elle sentit quelque chose. Un bruissement d'air dans son dos, à peine perceptible. Aussitôt, elle stoppa le manège de son destrier volant, et se retourna sur celui-ci. À sa grande surprise, lorsqu'elle scruta le ciel derrière elle, il n'y avait rien. Pourtant, la Cardinale était persuadée d'avoir perçu quelque chose. Et elle ne se trompait jamais. Quelqu'un était là, dans le ciel. Elle en était sûre. La directrice sourit intérieurement. Elle allait pouvoir s'amuser, elle aussi.

- Montrez-vous. Je sais que vous êtes là.

Comme en écho à ces paroles, le vent se mit à souffler. Légèrement secouée par cette perturbation inattendue, Mme Lecourt tangua un instant sur son destrier volant. Lorsqu'elle put se stabiliser à nouveau, levant la tête vers l'origine de ce coup de vent impromptu, elle écarquilla les yeux. Là, debout sur un exemplaire de 1984 flottant dans les airs, les bras croisés, Mlle Tirso-Molinier la toisait avec défi.

- Bonjour, Prescilla. Je ne vous ai pas fait attendre, j'espère ? En tout cas, il est clair que maintenant, vous n'aurez plus à patienter très longtemps avant que je ne vous ramène à la raison. Vous êtes bien accrochée, j'espère.

Passé le choc de découvrir sa collègue de cette façon, Mme Lecourt sourit.

- Claire, Claire, Claire... Vous n'oseriez pas agresser votre supérieure, n'est-ce pas ? Allez, approchez donc. Cessez de jouer à ce petit jeu ridicule, et rangez-vous à nos côtés.

Mais la professeure de littérature anglaise ne répondit pas. À la place, elle se contenta d'écarter les bras et de lever la tête vers le ciel, avant de murmurer :

- Hyperbole.

Aussitôt, elle fut enveloppée d'une aura intense, qui à mesure qu'elle l'entourait, semblait s'immiscer dans chaque parcelle de son corps. Lorsque le rayonnement se dissipa, quelques secondes plus tard, Mme Lecourt fut estomaquée. En effet, le corps précédemment frêle et fluet de sa collègue venait de laisser la place à celui, bodybuildé, d'une véritable catcheuse.
Faisant craquer les muscles de son cou nouvellement acquis, Mlle Tirso-Molinier sourit à son adversaire.

- Alors, Prescilla ? Votre avantage est-il toujours aussi clair, dans votre esprit ? Après tout, vous n'êtes peut-être pas si clairvoyante que vous le prétendez...

Insensible à la provocation, la directrice se releva sur son destrier volant, et rajusta son haut.

- Bien. Si vous insistez, j'imagine que je vais devoir vous donner une correction. J'ignore encore quelle est réellement la nature de votre pouvoir, mais j'aurais tôt fait de le découvrir, n'est-ce pas ?

Histoire d'une Ascension Où les histoires vivent. Découvrez maintenant