Chapitre X - Le Labyrinthe

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Aussitôt qu'ils furent entrés, un peu par contrainte, le grand porche derrière eux laissa la place à un mur plus noir que les navires du commerce triangulaire. Désabusés, les L se retournèrent. Trois couloirs s'offraient à eux. Au-dessus de chacun, on pouvait lire respectivement les inscriptions "Porte de la décadence", "Porte du vide", et "Porte de la ruine". Chacune de leurs entrées était également munie d'une sorte de tourniquet, comme ceux que l'on peut trouver dans les aéroports. Ils se dévisagèrent tour à tour, avant que Claire ne se décide enfin à briser le silence :

- Restons groupés et choisissons une porte. De toute façon, c'est toujours mieux que d'attendre ici à ne rien faire.

Reprenant son rôle de professeur, elle fit signe à ses élèves de la suivre et s'engagea au hasard dans le couloir du milieu. Lorsqu'elle poussa le tourniquet, celui-ci émit un *bip* sonore. Fabiola s'engagea à sa suite, faisant biper la machine une fois de plus. Ensuite, ce fut au tour de Martin de pousser le tourniquet, pour se retrouver de l'autre côté. Cependant, cette fois-ci, ce fut un tout autre son qui retentit, comme une sorte de blocage. Une voix mécanique se fit alors entendre :

- Système de la porte du vide complet. Fermeture du couloir. Veuillez s'il vous plaît vous éloigner du tourniquet et vous préparer à mourir. Merci de votre compréhension.

Avant que quiconque n'ait pu réaliser ce qui se passait, un mur de basalte sombre avait déjà surgi du plafond et descendait rapidement vers le sol, à la manière d'un rideau de fer. Dans la seconde, le tourniquet avait déjà disparu derrière celui-ci, et la moitié des effectifs humains avec. Hébétés, les autres L se regardèrent alternativement. Simone cria vainement :

- Vous nous entendez ?

Malheureusement, personne ne répondit. Elle tapa alors contre le mur. Celui-ci aurait dû sonner creux, mais curieusement, il n'en était rien. Ils sentirent alors la panique monter, cherchant une échappatoire. Peine perdue : tout ce qui s'offrait à eux étaient les deux autres couloirs. A contrecœur, il s'engagèrent tour à tour dans la Porte de la décadence, qui, comme on pouvait s'y attendre, se barricada dès que deux personnes y furent entrées, à savoir Zélie et Mara. Dans un soupir, Simone et Martha s'engagèrent donc dans le dernier couloir : la Porte de la ruine. Alors qu'inexorablement, le mur se refermait derrière elles, elles commençaient sérieusement à se demander si elles n'auraient pas mieux fait d'écouter feu Mme Qualach.

Du côté de Mlle Tirso-Molinier et de ses deux compagnons d'infortune, l'ambiance était électrique. Avec acharnement, Fabiola martelait le mur de coups de poing, en vain. Au bout d'un certain temps, Martin finit par arrêter son bras.

- Tu vois bien que c'est inutile. Continuons, le couloir se prolonge en ligne droite. On finira bien par arriver quelque part.

A contrecœur, son interlocutrice détacha son attention du mur, et s'engagea avec ses compagnons dans le couloir. Mlle Tirso-Molinier ouvrait la marche. Si, dans le corridor, aucune source de lumière n'était visible, cela ne semblait pas l'empêcher d'être éclairé comme en plein jour. Seul le fond demeurait plongé dans l'obscurité, bien qu'à cette distance il fut difficile de dire avec certitude s'il y en avait réellement un. Ils marchèrent ainsi, en silence, peut-être dix minutes, peut-être quinze, avant que Mlle Tirso Molinier ne s'arrête brusquement. De concert, Martin et Fabiola l'imitèrent. Celle-ci arqua sourcil.

- Quelque chose ne va pas, madame ?

Claire ne répondit pas. Elle leva alors un doigt tremblant dans la direction opposée.

Martin plissa les yeux. A une quinzaine de mètres, il distinguait une petite silhouette qui s'avançait vers eux d'un pas chaloupé. Alors qu'il se rapprochait, il put observer l'individu avec plus de soins. De petite taille, le crâne dégarni et les membres atrophiés, la créature regardait droit devant elle, de ses grands yeux bleus et globuleux. Elle semblait marmonner quelque chose. Alors qu'elle approchait davantage, Martin se fit une réflexion. Il avait déjà vu cette chose. Loin d'en avoir peur; il était intrigué par cette créature qui semblait terroriser sa professeure. Celle-ci semblait d'ailleurs paralysée, et tremblait légèrement. Dans l'esprit de Martin, il y eut alors comme un déclic. Il reconnaissait cette créature. Au même moment, Fabiola, semblant être arrivée à la même conclusion, murmura :

- Gollum...

A mesure qu'il se rapprochait, ses murmures se firent de plus en plus audibles, et semblaient se résumer à deux mots :

- Mon précieux... Mon précieux...

Entre ses dents, Fabiola grommela.

- Sacha, enfoiré...

Mlle Tirso-Molinier avait une peur panique de Gollum. Et il le savait.

Alors que celle-ci, incapable de bouger, continuait de trembler; la voix mécanique du tourniquet retentit à nouveau.

- Niveau de vulnérabilité : 68,54%. Déchiquetage et dés de jambon au programme. Terminé.

Sentant alors l'urgence de la situation, Martin saisit sa professeure par le bras et courut dans la direction opposée, Fabiola sur ces talons. Claire, qui semblait avoir repris ses esprits, sprintait avec une vigueur renouvelée. Aussi bizarre que cela puisse paraître, plus ils avançaient, et plus il faisait sombre, comme s'il s'agissait d'un autre couloir qu'à l'aller. Au bout de quelques minutes cependant, ils pilèrent net : ils étaient dans une impasse. Essoufflés; ils s'assirent un instant. Fabiola s'enquit de l'état de sa professeure.

- Tout va bien madame ? J'imagine que ça n'a pas dû être facile...

- Tu sais, je sais pertinemment que Sacha joue avec moi. Et c'est ce qui m'énerve. Mais je dois l'admettre, Gollum me terrifie. Désolé si je vous ai freinés...

Martin intervint alors :

- Pas de problème. De toute façon, dans la situation où nous nous trouvons, on ne peut pas faire autrement que se serrer les coudes.

Il se leva et se dirigea alors vers le mur qui n'était pas là quelques minutes avant. Il sortit son téléphone afin de l'examiner plus attentivement. Avant de lâcher une exclamation de surprise. Interloqués, les deux autres se levèrent et s'approchèrent de la paroi rocheuse. Là, dans le basalte; trois visages étaient sculptés. Outre leur expression de douleur et d'agonie, une autre évidence fit reculer les trois compères : ces trois visages, c'étaient les leurs. Alors que, dans un mouvement de recul, ils manquèrent de trébucher, les bas-reliefs s'animèrent soudain. Effarés devant cet horrible spectacle, les L et leur professeure ne pouvaient que contempler ces visages se tordre de douleur au son de leurs propres cris d'agonie. Mus par une volonté commune, ils semblaient répéter en boucle les mots "Je veux mourir". Alors que les trois compères se bouchaient les oreilles, le sol s'ouvrit littéralement en deux , devant eux. Aussitôt, les cris cessèrent et les visages redevinrent immobiles, figés cette fois-ci dans une expression de mort atroce, les yeux révulsés. Retirant leurs mains de leurs oreilles, les L et leur professeure entendirent alors une voix caverneuse, profonde, s'élever depuis le fond de l'alcôve :

- That was the elegy of emptiness. Welcome to the void, dudes.

Sans qu'ils aient eu le temps de réagir, le sol se déroba sous leur pieds et ils chutèrent de nouveau dans le Néant.

Histoire d'une Ascension Où les histoires vivent. Découvrez maintenant