Chapitre XXVIII - Memento mori

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Titubant un instant sur le sol herbu qui venait de se matérialiser sous ses pieds, Martha considéra l'endroit où elle venait d'atterrir. Elle se trouvait au milieu d'une grande prairie fleurie entourée d'arbres de toutes les tailles, dont les branches croulaient sous des fruits divers et variés. Une petite brise agréable soufflait sur la prairie, et la température ambiante avait quelque chose de reposant. Détendue par le lieu malgré la situation, Martha ferma les yeux un instant, et sentit un immense sentiment de béatitude l'envahir. Elle prit alors une grande inspiration, puis les rouvrit. Dans sa recherche d'un éventuel Cardinal, elle se mit donc à marcher le long des arbres, admirant cet endroit où tout semblait paisible. Après seulement une dizaine de minutes de marche , elle finit par distinguer, à une centaine de mètres devant, trois individus qui semblaient en pleine discussion. Intriguée, Martha s'approcha discrètement, et fit une étrange constatation : les trois individus en question étaient d'une pâleur extrême, et deux d'entre eux semblaient être entièrement nus. La Littéraire tenta alors de s'approcher davantage, mais une main glacée se posa sur son épaule. Une voix familière lui susurra alors à l'oreille :

- Ma chère, inutile de te faire du mauvais sang pour eux. Ce sont des âmes, il est normal que leur apparence ne corresponde pas tout à fait à ce que tu as l'habitude de voir. Ici, ceux qui le désirent peuvent se mettre "à leur aise" si j'ose dire.

Avec un immense sursaut, Martha se retourna brusquement. Face à elle, Michel de Montaigne rajusta sa fraise avec un demi-sourire. Il poursuivit :

- Puisque tu as l'air de ne pas comprendre de quoi retourne cet endroit, j'imagine que tu n'es arrivée qu'il y a peu ? C'est bien ce que je pensais. Ce n'est pas moi qui t'ai trouvée, n'est-ce pas ? Mais plutôt... l'inverse.

Devant le visage défait de son interlocutrice, il écarta les bras.

- Vois-tu, nous sommes ici dans l'Éden. C'est ici que finissent les âmes les plus braves. Somme toute, c'est ici que l'être humain est apparu... et c'est ici qu'il revient vivre pour l'éternité, une fois lavé de ses péchés. Bien, j'ignore ce que ce Dieu de pacotille a pu vous dire à tous les sept, mais ne croyez pas en ces mots. Suis-moi, je te prie, nous avons encore fort à...

Mais le philosophe n'eut pas le temps de finir sa phrase. Sur un geste discret de Martha, un ange aux yeux bleus électriques surgit de derrière le dos du Cardinal, et lui perfora l'abdomen de sa lance. Crachant un flot d'hémoglobine, Montaigne se contenta de sourire de plus belle.

- Fichtre. Une fraise fraîchement changée. Tu mérites correction, petit galopin.

Sous le regard sidéré de Martha, le philosophe dégaina son fleuret, et le planta dans sa propre poitrine. La lame ressortit de l'autre côté, et embrocha l'ange avant que celui-ci ne puisse réagir. Les yeux du guerrier ailé se vitrèrent alors, et son corps inanimé tomba sur le sol avec un bruit flasque.
L'Humaniste retira les deux lames qui lui étaient plantées dans le corps comme si de rien n'était, ce qui fit faire un pas en arrière à Martha. Tandis que ses blessures se refermaient d'elles-mêmes, il soupira, et s'adressa à son interlocutrice.

- C'est un fascinant pouvoir que tu as là. Mais je te le répète, jeune âme : je suis immortel. Tu ferais mieux de baisser les bras et de me suivre.

Celle-ci serra alors les poings, et lui répondit enfin :

- Oui, c'est ça. Vous enchaînez des enfants dans votre cave, et je devrais vous suivre. Vous êtes encore plus fou que je le pensais.

Offusqué, Montaigne porta la main à sa poitrine.

- Mais enfin, ne comprends-tu pas ? Tout cela, je le fais pour l'Humanisme. Vois-tu, à cette époque, cette vision révolutionnaire de la vie se cantonne à un "mouvement" du XVIe siècle. Or, c'est bien plus que ça. C'est une doctrine à suivre, un idéal qui ne saurait s'encombrer de prolétaires qui ne comprennent rien à son essence même. Voilà pourquoi, ma chère, je désire tant presser la fin de ce monde. À la place s'en élèvera un nouveau, guidé uniquement par l'Humanisme et ses préceptes ! Voilà ce à quoi j'aspire.

Histoire d'une Ascension Où les histoires vivent. Découvrez maintenant