Chapitre premier: Siborgs et Robots

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Une petite fille pleurait dans les bras d'un soldat. Elle était seule et apeurée. Ses yeux se perdaient dans ceux d'une femme qui se démenait au cœur de la foule, les joues baignées de larmes.

— Maman !

Elle criait. Ses longues boucles blondes lui cinglaient le visage à cause du vent. Elle tendait la main le plus loin possible pour la rattraper, en vain. La mère impuissante ne cessait de se faire repousser par la marée bouillante. Les cheveux emmêlés, les yeux rougis, elle semblait sombrer dans une violente folie aussi soudaine qu'imprévisible.

— Maman !

L'adulte demeurait crispée dans une expression de détresse qui creusait de profondes rides sur son visage. Sa peau bariolée par d'innombrables hématomes virait au gris. Au vert. Au bleu. Son âme paniquée convulsait, se mêlait à celle des êtres présents à ces côtés. Elle hurlait un mot, toujours le même, incompréhensible. Elle le répéta sans relâche jusqu'à ce que son propre corps disparaisse, noyé dans l'entassement de chair fraîche. C'était inutile. L'enfant terrifiée se laissait emporter dans les profondeurs de la nuit.

— Maman...?

Il y eut des coups de feu. Vinrent ensuite les flammes. Un immense brasier ronflant dont la fumée étouffante dévorait le village aux toits pointus. La lueur du bûcher faisait danser sur les murs l'ombre de ceux qui, comme elle, semblaient tout perdre. Les prairies, les maisons et les familles se détruisaient sous les tirs des mercenaires aux uniformes verdâtres. Et les cris. Des centaines de cris stridents s'élevaient comme s'ils ne provenaient que d'une seule et même personne, des cris étranglés de gosiers éraillés par la terreur. Il ne s'agissait en réalité que d'une seule voix. La voix d'un peuple en détresse.

Et ce dernier regard, celui qu'une enfant à peine plus haute que trois pommes échangeait avec celle qui souffrait de ne pouvoir la défendre. Celle qui ne pouvait la sauver de son destin. Du destin de son peuple.

— Cellule K37, debout !

Une violente lumière agressa soudain la rétine d'un adolescent qui tira brusquement sa couverture sur le haut de son crâne. Le morceau de tissu gris était si petit que, même si le garçon était recroquevillé sur une chaise, celui-ci ne couvrait jamais l'intégralité de ses jambes. La créature hautaine qui venait de les réveiller répéta ses paroles sur un ton un peu plus menaçant.

— Debout, K37_12 ! Exécution !

Le jeune émit un grognement farouche en guise de réponse, le temps de sortir la tête de sous la couette. Son corps était frêle et le bout de son nez retroussé avait rougi à cause du froid. Ses joues mouchetées de taches de rousseur lui donnaient un air de petit garçon tout juste sorti de l'enfance. Son visage débordant de malice ne masquait pas son caractère têtu et paresseux. C'était un rêveur de nature réticent à tout type de besogne, si bien que ce matin, son colocataire fut contraint de le sortir de son sommeil par la force.

— Allez, Sorenn... Je veux pas avoir une amende à cause de toi. J'ai envie de manger, ce midi !

— Je... déteste... le... matin... grommela l'intéressé en se frottant les yeux.

Il quitta son fauteuil à contrecœur après avoir replié le plaid hirsute sur le dossier, puis quitta la chambre étroite qu'il partageait avec Katz, cette grosse masse de muscles qui lui servait de meilleur ami. Ensemble, ils avaient fait les quatre cents coups entre les couloirs des laboratoires. Ensemble, le travail à l'atelier devenait presque distrayant.

PANDORA-IV [Les enfants de Kirisben]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant