Tous les androïdes se figèrent immédiatement. Certains se tournèrent vers le garçon, cessèrent leur besogne pour analyser la situation. Fallait-il aider le maladroit au risque de s'impliquer dans un combat perdu d'avance ou se plier aux ordres du superviseur et reprendre le travail ?
Pour préserver leur bouchée de pain, les ouvriers détournèrent le regard en silence, comme si rien ne s'était passé. Ils ne voulaient en aucun cas sacrifier leur repas ou leur nuit de repos pour cet inconnu qu'ils ne reverraient probablement jamais, car après cet incident, Sorenn risquait gros. Il était pétrifié, cloué au sol sans oser respirer.
Contre toute attente, le Major ne se mit pas à hurler. Il ne gesticula pas, ne perdit pas son calme, ne devint pas rouge comme un monstre furieux. Au contraire il avait gardé le silence, complètement indifférent. Il recontacta le secrétariat.
— Ici le Major A37. Retirez six tickets à l'unité K37_12.
Sorenn se releva péniblement avec le soutien de son ami, encore sous le choc. Quelques éclats de verre lui avaient entaillé la peau du bras gauche, et laissaient donc entrevoir les circuits qui le traversaient. Mais un autre morceau, plus grand et plus tranchant, s'était logé dans son épaule. La souffrance lui arracha un soupir. Katz s'indigna.
— Six tickets ?! Monsieur, il est blessé... Soyez indulgent, c'était un accident !
D'un geste de la main, le chef de cellule fit venir deux robots qui, tête basse, s'empressèrent de nettoyer les dégâts. Plus le Peau-Rouge tentait de négocier, plus le gérant se montrait barbare.
— Retirez-lui également une veille.
— Mais il -
— Deux veilles.
Katz ne trouva rien à redire. Un frisson glacé parcourut la pièce. Chacun craignait pour sa vie, à présent. Certains priaient pour que l'altercation s'achève. Sorenn priait pour que son ami se taise. Heureusement, c'est ce qu'il fit. Il se recula et s'appuya contre une table dans le fond de la pièce, vaincu. La colère émanait de son être tout entier, le faisait trembler de la tête aux pieds.
Tout le monde savait qu'un robot de modèle K37, autant qu'un être humain, avait besoin de dormir et de se nourrir. Son ami, dans l'état qu'il était, n'allait jamais tenir trois jours et deux nuits de travail acharné sans manger. Personne, humain comme machine, n'avait réussi un tel exploit puisqu'il fallait aux méta-droïdes au moins une heure de chargement et un « repas » toutes les dix heures pour rester fonctionnel. Jamais on n'avait vu un androïde résister au travail de la sorte et le chef le savait très bien, puisqu'il voulait envoyer Sorenn directement à la casse.
— Pardonnez-moi, Monsieur, ajouta la femme au bout du fil, mais quel est le motif ?
Le Major se mit (enfin) à sourire.
— Motif personnel.
— Accordé, répondit-elle après un instant de réflexion.
Elle faisait partie de ceux qui ne souhaitaient pas être intégrés dans cette affaire problématique. Qui sait quelles atrocités son supérieur aurait été capable de lui faire subir si elle refusait de marcher dans son sens...
Katz ne supporta pas la nouvelle. Il se jeta sur l'homme dans un cri déchaîné, le saisit à la gorge et la tordit de toutes ces forces. Son poids fit basculer le Major au sol comme un fruit tombe de son arbre. Toute sa haine sortit subitement. Il déferlait sa rage, se vengeait enfin pour tout ce que ce monstre leur avait fait subir pendant plus de dix ans de loyaux services. Serre, Katz. Serre.
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PANDORA-IV [Les enfants de Kirisben]
Science FictionSorenn n'était qu'une machine, un moins que rien maltraité par ceux pour qui il travaillait. Forcé à s'épuiser dans une usine sinistre, sa vie s'effondre lorsqu'un groupe de criminels fait irruption dans son laboratoire. Ces pirates cherchent un tré...