Chapitre six: A l'ombre du saule pleureur

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— Viens ! Allez, viens !

Un jeune garçon lisait au pied d'un saule pleureur. Il n'avait pas encore passé la barre des dix années de vie qu'il semblait déjà aussi calme réfléchi que la plupart des adultes. Son allure exemplaire et sa silhouette tirée à quatre épingles suscitaient l'admiration des petits et des grands. Ses manières laissaient entrevoir un futur noble bien élevé.

Il méditait en silence sur un ouvrage qui contait le passé de son peuple, son histoire et sa philosophie, sa science et ses découvertes. Parfois, la brise légère tournait quelques pages avant de revenir sur celle qu'il explorait. Elle secouait les brins d'herbe et les fleurs dans un frémissement qui transportait leur parfum délicat. Les nuages glissaient à pas comptés dans le ciel orangé, marquant un bel après-midi de printemps.

Une paire de voix malicieuses s'élevaient depuis le bas de la colline. Deux petites filles s'amusaient sur le ponton de bois au bord du lac, les pieds dans l'eau. De temps en temps, elles s'éclaboussaient, criaient, puis se calmaient un peu avant de recommencer. Elles s'inventaient des jeux dont elles seules avaient le secret, frappaient dans leurs mains de manière répétée tout en chantant des chansons enfantines.

C'est un jeu, jeu de mains, au revoir et à demain ! C'est un jeu, jeu d'amies, au revoir et à jeudi !

La première petite fille était riche. Longs cheveux d'or, frimousse d'ange, allure de cygne. La seconde était riche, mais d'une tout autre manière. Riche d'un sourire, d'une vivacité d'esprit comme personne n'en avait connu auparavant. Certes, il lui manquait un cercle d'or sur la tête. Il lui manquait le tulle et la soie, les connaissances et l'étiquette et tout un tas de superficialités indignes d'une fille des campagnes. À première vue, tout les opposait, mais elles jouaient de la même manière dans l'eau boueuse. Elles riaient ensemble sans que rien ne puisse les séparer.

— Cassiopée ! appela soudain une voix lointaine.

La mère de la paysanne la recherchait depuis plusieurs heures déjà. Cassiopée serra son amie dans les bras aussi fort qu'elle put avant de se ruer dans les jupons de sa maman. Laissée seule, l'autre enfant enfila ses petites chaussures et gravit péniblement la motte de terre qui menait au saule pleureur. À la vue du garçon qui y était adossé, elle se mit à trépigner de joie. « C'est toi ! C'est toi ! C'est toi ! » répétait-elle, enthousiaste. Repoussant ses boucles cuivrées, elle sauta sauvagement au cou de son aîné et lui fit perdre l'équilibre.

— C'est à quel sujet ? grommela-t-il, encore concentré.

— J'ai joué avec Cassy ! C'était bien... pourquoi tu viens jamais ?

— Parce que vous êtes des petites morveuses. Laisse-moi. Je lis.

— Tu lis ? C'est quoi ?

Elle tenta d'arracher l'ouvrage des mains de son frère.

— Quelque chose que tu ne comprendrais pas. Ce n'est pas de ton âge. Tu sais même pas lire, d'abord !

— Oh... J'avais oublié...

Il la repoussa doucement. Elle se laissa tomber sur le dos. Pendant un long moment, ils restèrent silencieux. Il continuait à tourner les pages de son bouquin compliqué, elle observait les deux soleils qui brillaient dans le ciel. S'imaginait tout un petit monde caché entre les nuages. Ici, une sirène. Là, une écrevisse à moustaches. Plus loin, un dragon. Ah, non, c'est vrai: les dragons n'existaient plus. Le braconnage avait eu raison d'eux bien avant sa naissance.

— Dis...

— Quoi encore ?!

— Non, rien.

PANDORA-IV [Les enfants de Kirisben]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant