Les gens valides

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Ce chapitre est un "chapitre coup de gueule". Je suis toujours hospitalisé pour le moment mais je reprendrais l'écriture quand je serais sorti. Il est préférable que je m'occupe encore un peu de Médusa pour le moment. Mais promis, j'ai pleins d'idées de chapitres en tête !

Ce matin, une soignante de l'hôpital m'a fait la réflexion particulièrement désagréable que je n'utilisais pas mes cannes, que si je ne marche pas mes muscles ne vont plus fonctionner sur le long terme et que du coup, j'aurais moins d'autonomie. En tant qu'handicapé, je voudrais rebondir sur les paroles d'une personne valide.

Alors oui, c'est vrai, je ne "fais pas l'effort" de marcher en béquilles depuis que j'ai mon fauteuil semi-électrique. C'est aussi vrai que je suis tout à fait capable de marcher. Mais cette soignante sait-elle ce que le mot "marcher" représente pour moi ? Je ne pense pas.

"Marcher" pour moi ça signifie utiliser le peu de muscles que j'ai, me créer des tensions, des contractures, sentir mon genou se bloquer. Bref, avoir mal.

"Marcher" ne me donnera pas l'illusion d'être valide, au contraire. Marcher avec des béquilles me sert uniquement à me déplacer d'un point A à un point B. Mais quand on arrive au point B, on est coincés parce que les béquilles dans nos mains nous empêchent de prendre des objets.

Un exemple tout bête : Imaginons que vous êtes chez vous, sur votre canapé, bien tranquillement. Et comme ça peut arriver, vous avez envie de boire une boisson. Or cette boisson se trouve au frigo. Vous ne disposez que de béquilles. Vous allez donc vous lever pour aller jusqu'au frigo et ouvrir la porte. Imaginons qu'il s'agisse d'une canette de soda, avec deux béquilles, comment faites vous pour la porter ? Réponse : vous ne pouvez pas.

"Marcher" signifie sans doute pour cette soignante que c'est une preuve de courage, un effort. Mais au nom de quoi je ferais cet effort ?

J'ai passé 19 dans un fauteuil roulant à essayer toutes sortes de choses pour marcher. Opérations, plâtres, piqûres, séance de rééducation intensives, séances de kiné. Au total j'ai passé plus d'un an en centre de soins pour me remettre de toutes mes opérations. Sans parler de toutes les vacances scolaires où je ne pouvais pas en profiter parce que j'avais un planning de musculation, de kiné, de soins, d'étirement. Sans parler du regarde des gens qui te voient arriver au collège avec des plâtres jusqu'en haut des cuisses ou des attelles insupportables que je devais mettre toutes les nuits.

Voilà ce que marcher représente pour moi. En un mot marcher c'est souffrir, perdre du temps, de l'autonomie. Et qu'on fasse 8 pas dans la journée ou 0, ça ne me guérira pas.

On ne peut pas m'enlever mon handicap, me guérir. Même avec tous les efforts du monde.

Avant d'avoir le fauteuil que j'ai maintenant, j'étais incapable de me déplacer seul, il fallait toujours quelqu'un pour me pousser et quand je pouvais rouler seul, j'avais exactement le même soucis avec mes mains : elles étaient occupées.

Depuis que j'ai mon fauteuil il me suffit d'actionner la manette pour avancer et de l'autre main je peux par exemple faire mes courses, ramener un plateau, aller me chercher à boire.

Je me moque bien de savoir si je fais "plus ou moins" handicapé, si je marche parce que ça donne l'illusion que ma santé est meilleure.

Je suis handicapé, c'est un fait. Et si j'ai besoin d'un fauteuil semi-électrique, j'utiliserais ce fauteuil, qu'on me reproche d'utiliser la solution de facilité ou non.

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