22 heures et 20 minutes: Fin du jour 1

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22 heures et 20 minutes que j'ai appris la nouvelle. L'onde de choc ne cesse de se propager. On essaie de se rapprocher. Mais malgré nous, deux camps se dessinent et un ou deux membres de la famille se déchire. On se soutien comme on peut. Mais plus personne ne tient debout. On s'effondre, les uns sur les autres, comme un fragile château de cartes. On s'effondre et la chute n'a pas de fin. C'est un enfer. Un gouffre dans lequel on plonge, main dans la main. On ne sait pas qui retient l'autre. On ne sait pas qui a la main posée sur le rebord. On ne sait pas qui détient l'espoir qu'on puisse sortir d'ici, vivants. Parce qu'en vérité, on a tous l'impression d'être morts, décimés, qu'il ne reste rien. Rien du tout. J'ai du lui dire, à maman. Lui raconter mon calvaire. Elle avait besoin d'entendre les choses, dans les grandes lignes. J'aurais voulu lui en dire plus. Lui dire la vérité. Mais j'ai menti. J'ai menti, pour la protéger. J'ai menti parce que je ne voulais entendre son cœur de maman se briser dans sa poitrine. J'ai menti parce que j'ai bien vu qu'elle pouvait pas encaisser un mot de plus. Un fait de plus. Un acte criminel tout aussi destructeur. J'ai bien vu qu'elle pouvait pas. Elle a atteint ses limites en écoutant mon récit. Elle a atteint ses limites au point de désirer la mort. Elle a voulu mourir, pour t'avoir donné naissance, pour t'avoir élevé seule et n'avoir rien vu. J'ai pas arrêté de lui répéter que c'était pas sa faute, qu'elle pouvait pas savoir, que c'était une bonne mère. Je l'ai prise dans mes bras. J'ai senti son cœur battre contre le mien. J'ai senti ses bras m'entourer et les bisous que je lui déposais. J'ai essayé, j'ai voulu l'aider. Pour qu'elle trouve en nous la force qu'il lui reste pour continuer à respirer. Parce qu'on a besoin d'elle, c'est notre pilier. Mais j'ai la sensation que notre chute monumentale a aspirée toute force de vie en elle. J'ai la sensation qu'elle morte. De honte. De chagrin. De haine. Elle pense à nous. Au silence qu'on a dû supporter. A la décision que j'ai prise de partir. Au fait que je les ai laissé plantés là, sans rien comprendre. Et j'ai pas osé lui dire que sinon je serais certainement morte à mon tour. Bien que j'ai le cœur arraché.

Je lui ai parlé des cachets, mais pas du sang qui m'imprégnait. Du sang séché à l'intérieur de mes pantalons. Du sang sur mes draps. Du sang qui voulait encore couler.

Elle a voulu demander de l'aide, se faire interner, mais elle a peur de perdre son travail si elle se fait hospitalisée. Et elle a besoin d'argent, à cause des dettes que tu lui a laissé.

D'ici quelques heures, papa attend la même chose de moi. Je l'ai eu au téléphone aujourd'hui, et il était saoul, à 16 heures de l'après-midi. Il avait la voix pâteuse et il m'a fait de la peine, lui aussi.

Je suis éteint. Mort. Tu nous a vraiment tout volé...

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MédusaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant