-Aimez-vous les pirojkis ? Me demanda le comte en me tendant un petit pain.
-Je ne connais pas, Monsieur le comte.
-Je suis sûre que vous allez adorer. Ce sont les préférés de ma femme. N'est-ce pas Tania ?
Sa femme lui jeta un regard sévère, et le comte me regarda l'air désespéré. Il soupira et me donna le pirojki.
C'était un pain farci à la viande. Sans doute une spécialité de leur pays.
-C'est délicieux, Monsieur le comte. Dis-je, une fois la bouche vide. Je souhaitais faire la meilleure impression possible, et même si le pirojki était délicieux, parler la bouche pleine n'était pas la meilleure chose à faire.
Cela sembla lui faire plaisir.
-J'en suis très heureux. Vous verrez, nous mangeons beaucoup de spécialités de chez nous.
Je me demandais de quel pays ils venaient, même si je me doutais qu'il devait s'agir d'un pays de l'est. Je n'osais pas leur demander. Comme s'il avait lu dans mes pensées, le comte enchaîna:
-Nous venons de Polésie. C'est une région qui se trouvait entre la Russie, la Lituanie, la Prusse, la Volhynie et la Mazovie. Mais sans doute que ces noms ne vous disent rien. Soupira-t-il.
Il n'avait pas tort. A part la Prusse et la Russie, je n'avais jamais entendu parler des autres territoires.
-Je suis désolée, je ne connais pas trop ces endroits.
-Mais notre région a été rattachée à la Russie, il y a une vingtaine d'années maintenant... C'est pour cela qu'avec ma chère épouse nous avons préféré venir en France.
Ainsi le comte pour qui je travaillais avait dû fuir son pays d'origine ! Il aurait sans doute des tas d'histoires à me raconter. J'étais de nature très curieuse et je m'en délectais par avance.
-Votre annonce dans le journal nous a beaucoup plu. Enchaîna-t-il. Vous avez l'air courageuse comme jeune fille.
-Merci Monsieur le comte. Répondis-je, gênée par ses compliments.
-Nous n'avons pas hésiter à vous prendre à notre service, même si vous habitiez loin. Surtout, s'il vous manque quelque chose, n'hésitez pas. La vie n'a pas dû être facile pour vous après l'accident de votre père...
J'étais surprise par la bonté du comte. On m'avait toujours dit que les maîtres adressaient rarement la parole à leurs employés. Nikita Volkov me parlait plus qu'à sa femme. Ce que je pouvais comprendre si celle-ci ne s'exprimait que par des grognements. Peut-être le comte avait-il besoin de compagnie.
-Il nous reste de la route. Fit sèchement une voix que je ne connaissais pas. La comtesse venait de prendre la parole. Elle se leva difficilement, refusant la main que lui tendait son mari. Par cette simple phrase déclarative, elle venait de donner l'ordre au cocher de se préparer à repartir, et à son mari l'ordre d'arrêter de me raconter sa vie. Toutes les personnes concernées comprirent très bien le sous-entendu. Le cocher se leva d'un coup comme si une guêpe l'avait piqué, et couru à la calèche. Le comte quant à lui se pinça les lèvres, et détourna son regard de moi pour se diriger vers sa femme et lui offrir son bras
-moya dorogaya...susurra-t-il.
J'ignorais ce que ces paroles signifiaient, mais elles ne devaient pas être bien méchantes. Tatiana Volkova accepta enfin de prendre le bras de son mari en soupirant et ils marchèrent ensemble jusqu'à la calèche.
La deuxième partie du voyage fut encore plus longue. Le comte gardait les yeux baissés. Dès qu'ils les relevaient, la comtesse grognait. Cette femme me paraissait de plus en plus antipathique. Je savais à présent qu'elle pouvait parler. Pourquoi alors se contentait-elle de grognements ? Pourquoi le comte qui était encore un très bel homme pour son âge, que j'ignorai d'ailleurs, semblait-il aussi amoureux d'une vieille peau comme elle ? Plusieurs choses dans ce couple me laissaient sans voix. Alors que la comtesse portait une vieille robe violette de l'ancien régime, volumineuse et beaucoup trop sophistiquée, le comte se contentait d'une redingote noire parfaitement au goût du jour, d'une cravate blanche immaculée, d'un pantalon crème moulant et de bottes en cuir. Les deux époux ne s'accordaient pas du tout.
La nuit tomba, j'ignorais complètement où nous nous trouvions et je n'osais pas poser la question. Nous traversâmes une forêt. Je distinguais les silhouettes des arbres dans l'obscurité. Nous entendions les branches basses griffer le haut de la calèche. Au fur et à mesure que nous avancions, le comte Volkov semblait de plus en plus crispé. Je le voyais serrer ses mains sur son pantalon. Au bout d'un moment, il demanda au cocher de s'arrêter. Il descendit.
-J'ai un ami à aller voir dans le coin. Rentrez sans moi. Nous dit-il en toussant.
Je regardai la comtesse. Celle-ci ne marqua aucune réaction au départ de son mari. Le comte referma la porte, et la calèche repartit dans le brouillard.
Je me demandais quel genre d'ami d'un comte pouvait habiter en pleine forêt. Et pourquoi lui rendre visite en pleine nuit ? Un hurlement de loup se fit entendre. Décidément, cette forêt me donnait la chair de poule. Comment la comtesse pouvait-elle rester aussi sereine alors que son mari était dehors avec des animaux sauvages ? Je m'enfonçai un peu plus dans mon siège, et priai pour arriver rapidement à destination. Je sentis soudain un frottement contre la calèche. Je ne supportais pas de ne pas identifier la cause de ce bruit continu. Je me penchai donc à la fenêtre. Je découvris avec horreur que nous étions encerclés par une meute de loups.
-Des loups ! Ce sont des loups Madame la comtesse ! paniquai-je.
-Asseyez-vous. M'ordonna-t-elle d'une voix calme.
J'obéis, tremblante de peur. Elle avait l'air de savoir ce qu'elle faisait. Au bout de quelques minutes, la calèche ralentit. Je vérifiai si les loups nous suivaient toujours. Je pus respirer, les fauves n'étaient plus là. Nous continuâmes notre route quelques minutes, jusqu'à ce qu'entre les branches des sapins, apparaisse, éclairé par la lune, un château. Le château des Volkov.
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La morsure des Volkov
VampiriDans les années 1815, la jeune Marianne entre au service d'un couple étranger venu s'installer en France, les Volkov. Mais rapidement, un pressentiment lui fait comprendre que tout n'est pas normal. Si vous aimez le mystère, le fantastique et le fo...