Chapitre 19

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-Stop !

Les dents du comte restèrent en suspens à quelques millimètres de ma peau. Sa respiration haletante battait contre mon cou.

La porte venait de s'ouvrir à la volée. Je levai les yeux à la fois en colère et reconnaissante envers celui qui nous avait interrompu. Il s'agissait du jeune homme au masque bicolore qui m'avait épié pendant le bal.

Nikita grogna de mécontentement, mais sans lui porter plus d'attention, repris une profonde inspiration pour me mordre.

-Père !

Cette fois, Nikita se figea. Ses dents retournèrent immédiatement dans sa gencive. Il semblait vouloir parler, mais les mots lui manquaient.

-Alexei ? articula-t-il enfin.

-Lui-même ! Répondit-il en arrachant son masque. Et je crois que cette jeune fille n'est pas ma mère et qu'elle n'est pas en sécurité avec vous !

J'aurai voulu mettre le temps en pause. Ce jeune homme serait-il le fils de Tatiana et Nikita ? Pourquoi cette réaction de mon maître  ? Et surtout ce fils était-il une menace pour moi ?

Nikita, choqué, tituba en reculant. La respiration semblait lui manquer.

-Ce... ce n'est pas possible !

Le dénommé Alxei profita de l'éloignement de Nikita pour me saisir la main.

-Venez avec moi, mademoiselle. Me souffla-t-il.

Je secouai la tête de droite à gauche, incapable de dire un seul mot. Alexei était le portrait craché de son père, à l'exception des yeux. Il avait les yeux verts de Tatiana.

-Ma mère ne souhaite sans doute pas que sa femme de chambre ait des problèmes, surtout avec son mari, alors venez. Insista-t-il.

Le rappel de la comtesse me fit douter. Ce jeune homme n'avait pas tort. Madame Volkova n'aurait sans doute pas apprécié ce qui venait de se passer. Je tournais la tête vers mon maître. Celui-ci s'était assis dans le fauteuil, tremblant. La tête dans les mains, il avait l'air lamentable. Les larmes coulaient de ses yeux. Il me fit signe de suivre Alexei d'un geste furieux de la main. Le jeune homme m'entraîna hors de la chambre et referma la porte.

Je pris alors conscience que je n'étais vêtue que d'une légère chemise de nuit. Je me figeai alors, lui faisant comprendre que je n'étais pas très confiante en sortant dans cette tenue. Je devais aller chercher de quoi me couvrir.

-C'est inutile. Dit-il, devinant mes pensées. Même un manteau de fourrure ne suffirait pas à masquer votre odeur humaine.

J'avalai ma salive. Moi qui pensais être en sécurité avec Nikita. Je ne l'étais nulle part. Et je n'avais pas le choix de suivre Alexei.

-Et surtout celle de votre peur. Poursuivit-il. Il ne faut pas traîner ici. Venez.

Il reprit ma main et me guida à travers le dédale de couloirs. Heureusement, la moquette couvrait le bruit de nos pas. Les personnages des tableaux nous suivaient des yeux, suspicieux. Certains se léchaient les babines en me voyant. Je me demandais combien de temps mon cœur allait survivre à ce rythme-là.

-Ne faites pas attention à eux, ils ne sont pas dangereux. Ce ne sont que des peintures.

Que des peintures ! Avec la petite particularité de pouvoir bouger ! Ce n'était tout de même pas rien ! Pourquoi m'étonnai-je encore de ce genre de chose ?

Enfin nous arrivâmes à un escalier. Nous commencions à en descendre les marches, quand je sentis ma jupe me retenir en arrière. Je me retournai. La statue de bronze du haut de l'escalier tenait le tissu dans ses mains. Elle m'adressa un sourire diabolique. Ses yeux vides s'allumèrent d'un éclat rouge. Le démon de bronze tira sur le tissu pour m'attirer à lui.

-Monsieur ! Eus-je le temps de m'exclamer avant que la statue ne me saisisse le bras. Sa poigne était dure et froide. Il me faisait mal. Heureusement Alexei avait tout vu et remontait vers moi.

-Lâchez-moi ! Pestai-je contre la statue tout en sachant que cela n'aurait aucun effet.

Cela la fit rire. Je fus surprise par la sonorité rocailleuse. Je n'avais jamais entendu une statue rire.

-Lâche-la. Répéta Alexei. Elle est avec moi.

Cette fois, l'effet fut immédiat. La statue souffla de déception en me lâchant et reprit sa pose. Alexei ne me laissa pas le temps de récupérer de mes émotions et m'entraîna avec lui. Nous courrions presque. Je devinais qu'il valait mieux pour moi ne pas traîner. Si je pouvais me faire agresser aussi bien par les invités que par les objets, cela compliquait les choses. Nous arrivâmes face à un tableau de paysage. Alexei sifflota quelques notes, et un loup apparu sur la toile.

-C'est Volya. Il est très gentil. Me dit-il.

Je hochai la tête. Bien sûr. Il caressa l'animal et lui souffla quelques mots à l'oreille. Aussitôt Volya sortit du tableau, et celui-ci se décrocha du mur, dévoilant un couloir. Contrairement aux autres, il n'était pas recouvert de moquette. Il y avait seulement de la pierre froide au sol, au mur et au plafond. Alexei y entra et me tendit la main pour que je l'y rejoigne. Je la saisi et enjambai la marche qui me séparait de lui. Une fois que nous fûmes tous les deux entrés, le tableau se rabattit et nous enferma. Par un étrange procédé, les pierres émettaient une faible lueur, ce qui permettait d'éclairer un peu le chemin.

-Où allons-nous ? demandai-je à Alexei ?

-A l'abri.

J'aurai préféré qu'il me donne un peu plus de précisions. Il m'avait l'air aussi bavard que sa mère.

-Vous aussi vous êtes en danger ?

Ma question le fit rire.

-Non.

Alors pourquoi venait-il m'aider ? Par pure générosité ? Au milieu des créatures que j'avais côtoyé depuis la veille, j'en doutais. Nous continuâmes notre route. Ce couloir n'en finissait pas. Il descendait tout doucement. Mais sûrement. Et s'il me conduisait aux enfers ? Et si j'avais quitté Nikita pour pire que lui encore ? Et s'il me tenait la main pour ne pas que je lui échappe ? Peut-être que ce que j'avais pris pour un sauvetage, quelques minutes plus tôt avec la statue n'était qu'une dispute pour pouvoir garder sa proie, moi.

-N'ayez pas peur, vous n'avez rien à craindre avec moi. Me dit Alexei, me sentant de plus en plus réticente à le suivre.

Nikita disait la même chose... 

La morsure des VolkovOù les histoires vivent. Découvrez maintenant