Chapitre 21

294 29 5
                                    

Alexei se tenait debout derrière moi et ramait. Nous progression lentement sur cette eau lisse et épaisse, suivant des couloirs sombres. Seule la torche qui se trouvait à l'avant de la barque éclairait notre chemin. Je regardais devant moi, essayant de deviner où ce fleuve menait mais mes yeux ne pouvaient pas distinguer grand-chose. Je m'adossai contre le dossier du siège, et laissai pendre ma main juste au-dessus de l'eau.

-Je serais vous, je remonterai ma main...

A peine avait-il dit cela qu'un bruissement me fit tourner la tête. Quelque chose était sorti de l'eau et y avait replongé. Je ramenai vivement ma main sur mon cœur.

-Qu'est-ce que c'était ?

-Sans doute un liopleurodon.

Je fronçai les sourcils, soucieuse. Je ne connaissais pas le nom de cet animal et cela voulait sans doute dire qu'il était plus dangereux que tout ce que j'avais connu jusqu'alors.

-Croyez-moi, vous n'avez pas envie d'en savoir plus dessus, me dit-il alors que j'ouvrais la bouche pour demander des précisions.

Je me tus alors, gardant les mains sur ma poitrine. Alexei scrutait la surface de l'eau, l'air anxieux, ce qui ne me rassurait pas le moins du monde. Enfin, au détour d'un virage, j'aperçu des mains en bronze tenant des torches enflammées. Je pouvais voir le canal dans lequel nous nous engagions. Il s'agissait d'un tunnel recouvert de pierres. La gondole était beaucoup plus travaillée que je ne le pensais. Elle était très finement décorée, et des dorures ressortaient sur le bois sombre. De temps à autres, nous passions sous une arcade. Petit à petit, l'obscurité laissait la place à la lumière et je devinais, sur les parois, des têtes d'animaux sculptées. Des têtes à allure humaine vomissaient de l'eau brune qui se déversait dans le fleuve que nous empruntions. J'aperçu un rat courir sur le nez de l'un des personnages.

Nous entrâmes alors dans une sorte d'immense grotte souterraine. Une épaisse brume blanche cachait la surface de l'eau. Les parois étaient méticuleusement sculptées avec des motifs floraux. Quatre blocs de pierre représentant des torses d'hommes nus soutenaient la voûte. Je regardais partout autour de moi, surprise de trouver une telle pièce de cette envergure. Je restai la bouche ouverte. Le plafond se trouvait à plus de dix mètres au-dessus de nous et des stalactites y pendaient. Je devais avouer que c'était magnifique, mais dans ma tenue de nuit légère, je me trouvais à nouveau fragile et faible. Alexei n'eut aucune réaction. Il continua de ramer. Nous passâmes entre les corps vigoureux et musclés des statues. Par chance, celles-ci n'étaient pas animées. Les abdominaux et pectoraux scintillaient à la lueur des torches. Alexei nous fit passer sous une arcade, et nous nous retrouvâmes face à une grille de métal rouillé derrière laquelle je ne voyais rien d'autre que du noir. Je me tournai vers lui. Que comptait-il faire à présent ?

Il rapprocha la gondole du bord et appuya avec sa rame sur une pierre qui s'enfonça. Alors, dans un affreux grincement, la grille se souleva, et le rideau noir qui se trouvait derrière celle-ci s'ouvrit. Je découvris alors un endroit éclairé de milliers de petites bougies. Nous passâmes sous la grille à laquelle restaient accrochés quelques morceaux d'algues. Au fur et à mesure que nous avancions, des chandeliers déjà allumés sortaient de l'eau aux reflets dorés. Je découvrais avec stupéfaction une seconde grotte. C'était une salle splendide, éclairée de tous côtés. La lumière ricochait sur les stalactites et stalagmites pour en illuminer chaque recoin. Je ne pus m'empêcher de lâcher un soupir d'admiration. Toujours silencieux, Alexei sillonnant à travers les lustres, se rapprocha du fond de la grotte que l'eau n'atteignait pas. Il y avait là un sol dur organisé en terrasse successives sur lequel se trouvait des milliers de vieux objets. Des escaliers avaient été construits autour. La gondole heurta l'un d'eux, et Alexei sauta sur la terre ferme. Il me tendit la main, et quelques instants plus tard, je me retrouvais à ses côtés. Le premier objet que je remarquai derrière moi était un orgue majestueux dont les tuyaux se confondaient avec les coulées calcaires de la roche. Près de lui se trouvait un coffre ouvert, empli de joyaux, un peu plus loin j'aperçu un crâne, un chevalet de musique, des croquis d'animaux en pagaille, des bustes en marbre de César ou d'inconnus, une bibliothèque pleine de livres, et encore une multitude d'autres choses. Des draps tendus cachaient certains pans de la grotte.

Alexei coucha un livre et la grille s'abaissa dans un grand fracas.

-Où sommes-nous ? voulu-je savoir.

-En sécurité. Venez, me dit-il en se dirigeant vers la paroi de la grotte.

Il souleva un lourd rideau qui dévoila une chambre. Il y avait au centre de la pièce un magnifique lit en marbre brun représentant un cygne dont les ailes, repliées en arrière, délimitaient la couchette. De chaque côté de la tête de lit, des chandeliers étaient allumés.

-C'est chez vous ? demandai-je.

-Disons que je viens ici de temps en temps...

-Mais le duc Proklyatyy connait cet endroit ?

Il secoua la tête.

-Non, il a été construit à l'antiquité et oublié bien avant l'arrivée du duc.

Avant que je puisse ajouter autre chose, il reprit :

-Vous devez avoir sommeil, vous n'avez qu'à dormir là.

Il m'indiqua son lit d'un coup de menton. Je m'en réjouis car en effet je tombais de fatigue et les draps rouges et moelleux me faisaient très envie. Cependant, je restais méfiante.

-Qui me dit que vous n'allez pas me mordre pendant mon sommeil ?

Il haussa les épaules :

-Pourquoi aurai-je attendu si longtemps ?

-Votre père l'a bien fait, lui.

Alexei soupira.

-Oui, mais c'est mon père ça. Je suis désolé, je n'ai pas de crucifix ou de collier de gousse d'ail à vous prêter, il va falloir me croire sur parole.

Sur ce, il tourna les talons et me laissa seule dans la magnifique chambre.

Je réfléchis quelques instants. Je n'allais pas pouvoir tenir toute la nuit à veiller. Je devais lui faire confiance. Je montai donc dans le lit, me glissai sous les chaudes et douces couvertures et m'endormis presque immédiatement. 

La morsure des VolkovOù les histoires vivent. Découvrez maintenant