Chapitre 9

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-Entrez. Dit-il.

Je poussai lentement la porte. Ce n'était pas sa chambre, mais un bureau. Le comte était assis et rédigeait des papiers.

-Vous m'avez fait de la peine hier soir quand vous êtes partie. Me reprocha-t-il sans lever la tête.

-Désolée...

Nikita Volkov eut un mouvement de la main comme pour me montrer qu'il oubliait. La pièce me semblait à la fois simple et chaleureuse. Le bureau où le comte travaillait se trouvait contre le mur de droite. A gauche plusieurs fauteuils de cuir étaient disposés autour d'une table basse. Au fond de la pièce, il y avait une porte, sans doute celle de sa chambre. A droite de celle-ci, un vieux guéridon en bois supportait un vase avec des fleurs violettes, cachant le bas d'un tableau représentant le comte. Une frise ornait le haut des murs. Elle représentait, tantôt des loups, tantôt des couronnes. Le plafond était peint de fresques guerrières, et un grand lustre vénitien en marquait le centre.

-Ma femme a-t-elle eu une attitude bizarre ce matin ?

-Un peu, Monsieur le comte. Répondis-je en me souvenant de l'inspection de mon cou effectué par la comtesse.

Il souffla, et se retourna vers moi sans trop d'expression. Je le trouvai moins joyeux que les autres jours.

-Elle est jalouse, elle m'espionne à travers vous, Marianne.

Je ne sus que répondre. Il n'avait pas entièrement tort, mais que pouvais-je y faire ? Je ne pouvais pas renier ce que je voyais ou entendais.

-A vrai dire, continua-t-il, j'aimerai avoir quelqu'un à qui parler... Je me sens si seul dans ce château, surtout que Tatiana ne m'adresse pas la parole.

-Vous pouvez me parler, Monsieur le comte, si vous voulez...

Son sourire s'allongea un peu.

-Vous êtes adorable, Marianne.

Nous nous regardâmes un instant. Je devinai que la comtesse n'avait pas besoin de savoir que le comte me parlait en dehors de mes heures de service. Je voulais à tout prix éviter une scène comme la veille.

Il se leva et m'invita à prendre place dans un de ses fauteuils.

-Vous prendrez quelque chose ? demanda-t-il en désignant une bouteille d'alcool.

Je refusai d'un geste de la main. Il se servit un verre et s'assit en face de moi.

-J'espère ne pas vous avoir trop intimidé hier soir, avec mes mauvais rêves.

Voilà qu'il ressortait son mensonge. Je fis non de la tête. Il me raconta un cauchemar abracadabrant duquel je ne crus pas un mot. Pourquoi me mentait-il ?

-Vous ne me croyez pas ? dit-il au bout d'un moment.

-Si, si ! Comment savait-il ? Avais-je été si peu convaincante ?

-Voyons Marianne, le mensonge vous va si mal... et j'espère que vous ne pensez pas que je crie de façon aussi aiguë dans mon sommeil !

Je ne comprenais plus. Il me faisait croire à un mensonge, puis le démontait.

-Je sais que vous ne me croyez pas. Et j'admire votre retenue à me poser des questions. En effet, ce n'était pas moi qui criait. Cependant, je ne peux vous dévoiler la vérité.

Je fronçai les sourcils.

-Il fallait bien que je vous donne un mensonge pour que vous expliquiez à ma femme pourquoi vous êtes montée. Acheva-t-il avec un sourire taquin.

Ainsi son mensonge serait une source d'inspiration pour donner une excuse à donner à la comtesse...

Décidément, mes maîtres étaient vraiment spéciaux.

-Et vous Marianne, je vous connais si peu. Parlez-moi de vous.

J'étais embarrassée, ne sachant que dire, mais il me mit en confiance, me posant des questions plus précises. Nous parlâmes longtemps de ma famille, surtout avant l'accident de mon père.

-Vous aviez l'air d'être heureuse.

-Ce n'étais pas facile tous les jours...

-Mais votre famille vous aimait. Et croyez-moi, c'est le plus important.

Je le regardai avec pitié. Nikita Volkov avait vraiment l'air en manque d'amour. Je n'avais jamais vu un homme de son âge aussi demandeur d'attention. Ce n'était pas sa vieille sorcière de femme qui faisait quelque chose pour combler ce manque. Penser à ma maîtresse me ramena subitement à la réalité. Il devait être près de midi ! Je m'excusai auprès du comte.

-Allez faire votre travail mademoiselle Marianne. Répondit-il. Et revenez me parler souvent.

Je sortis de la pièce et descendis en courant à la cuisine. J'eus juste le temps de prendre les plats, et de les apporter au petit salon que midi sonnait à une pendule.

La comtesse qui s'était assoupie ouvrit un œil en me voyant entrer.

-Vous avez failli être en retard. Me reprocha-t-elle.

Ma langue me brûlait de lui répondre, mais je me retins. Certes j'avais failli, mais j'étais arrivée à l'heure au final.

Elle me fit signe de lui apporter son repas. Elle ne m'adressa pas un mot.

-Vous préparerez des golubtsy pour ce soir. Je vous conseille d'en goûter. C'est délicieux.

-D'accord, Madame la comtesse ! m'exclamai-je ravie qu'elle me dise quelque chose sans m'agresser.

-Nikita déteste ça. Ajouta-t-elle avec un sourire démoniaque.

Aimait-elle ce plat par simple esprit de contradiction ? Si c'était le cas, elle était terrible.

-Mais vous en mangerez, n'est-ce pas ? Je veux l'avis d'une autre femme.

-Bien sûr, Madame la comtesse.

J'étais toujours partante pour découvrir des spécialités d'autres régions du monde.

-Je les aime chargés en ail.

-Bien Madame la comtesse.

Comme la veille, elle me demanda de lire un livre. Lorsqu'elle fut endormie, je descendis à la cuisine et préparai le fameux golubtsy. Il s'agissait de boulettes de viande et de riz roulées dans des feuilles de choux. La comtesse n'avait pas eu l'air de me mentir. Le plat dégageait une odeur divine. Je ne résistai pas à en goûter immédiatement. Il y avait un peu trop d'ail à mon goût, mais puisque ça plaisait à la comtesse... Je remontai dans ma chambre. L'odeur de l'ail avait vraiment envahi les étages. Je ne me fis pas tellement de soucis, elle allait se dissiper rapidement, et puis la comtesse devait être au courant de l'odeur. J'étais heureuse qu'elle commence enfin à sortir de son mutisme. 

La morsure des VolkovOù les histoires vivent. Découvrez maintenant