Je restai interloquée un moment. Que me proposait-il vraiment ? Pourquoi entrerai-je dans sa chambre ? Les mots de la comtesse me revinrent à l'esprit. « Je vous interdit d'avoir une liaison avec le comte Volkov ! ». Il me paraissait cependant difficile d'imaginer le comte être un époux volage après ses confidences de la soirée. J'avais confiance en lui, mais son invitation me laissait perplexe et me mettait dans un certain embarras. Comment expliquer à la comtesse Volkova ce que je faisais dans la chambre de son mari en pleine nuit ? D'un autre côté, cela me permettrait de vérifier s'il y avait bien une femme dans la chambre. Qu'y ferait-elle d'ailleurs ? Il était impossible que le comte lui ait fait du mal.
-Nous pourrions discuter, cela m'aidera à oublier mes démons de cette nuit. Insista-t-il.
J'allai accepter, mais le visage de la comtesse apparut soudainement dans mon esprit aussi clairement que si elle s'était tenu devant moi.
-Je suis désolée, Monsieur le comte, je préférerais que nous ayons cette discussion demain.
Il me regarda en inclinant la tête :
-Vous êtes sûre ?
Son regard me disait, me hurlait, me suppliait de rester. Ses yeux bleus plongeaient dans les miens comme pour atteindre mon esprit et le convaincre directement. J'eus soudainement peur. J'avais l'impression que le comte tissait des liens avec ses yeux pour m'entraîner. Je devais résister.
-Je... Je dois me lever tôt... Dis-je en fermant les yeux. Puis je fis volte-face. Bonne nuit Monsieur le comte !
-Bonne nuit Marianne...
Ce fut le cœur battant que je refermai la porte de ma chambre. J'y avais couru sans me retourner. Que venait-il de se passer ? D'abord les cris, puis cette attraction, cette hypnose presque, que le comte m'avait fait subir... Je devais être trop fatiguée. Je me recouchai, la tête pleine de questions. Je me levai péniblement le lendemain, à la même heure que la veille. Une fois prête, je commençai par préparer le petit-déjeuner de la comtesse. Il se préparait rapidement, un café, des tartines beurrées, une bouillie de sarrasin, ainsi qu'un œuf accompagné de quelques tranches fines de charcuteries et de fromages. Avec ça, elle ne risquait pas de mourir de faim. J'apportai le tout au petit salon, en prenant soin de me déchausser en entrant, puis allai la réveiller.
Comme la veille, la chambre était gelée. Mais, une fois réveillée, Tatiana Volkova resta assise sur son lit, et ne se leva pas.
-Tout va bien Madame la comtesse ? m'inquiétai-je.
-Approchez mon enfant...
Depuis quand m'appelait-elle de la sorte ? L'image de la sorcière me revint en tête. Peut-être m'avait-elle entendu aller voir le comte la nuit, peut-être allait-elle me métamorphoser ! J'étais immobilisée par la peur.
-Approchez. Répéta-t-elle.
Je lui obéis, machinalement, et m'approchai d'elle. Elle éleva ses mains et me saisit la mâchoire, sous les oreilles. Elle fit tourner ma tête de gauche à droite, en soulevant mon menton. Je tremblais, et n'osais même pas avaler ma salive. Elle scrutait mon cou avec une grande minutie, puis me relâcha.
-Bien, bien... Marmonna-t-elle en se levant. Elle descendit à son salon, et je la suivis.
-C'est toi qui a emmené ça ? Me demanda-t-elle en désignant son plateau de petit-déjeuner.
-Oui, Madame la comtesse.
Elle n'ajouta rien, s'assit, et commença à manger. Au bout d'un moment, elle releva les yeux vers moi qui était restée dans un coin de la pièce.
-Que s'est-il passé cette nuit ? Me demanda-t-elle soudain.
Ainsi elle avait entendu... Je devais lui raconter. Mais jusqu'à quel point ? Je ne voulais pas mettre le comte dans l'embarras.
-Je... J'ai cru entendre des bruits. Je suis montée voir ce que c'était. Le bruit de mes pas dans les escaliers a réveillé Monsieur le comte. Il m'a rassuré sur la provenance des bruits. Ce n'était rien de grave.
Mon explication sembla suffire à la comtesse. Elle continua à boire son café.
-La prochaine fois, vous ferez du thé. Dit-elle enfin.
-Bien Mada...
-Vous faites mal le café.
J'encaissai. Elle reposa sa tasse.
-Le menu pour ce midi est dans la cuisine. Servez-le-moi ici à midi précise.
-Bien Madame la comtesse.
Je m'inclinai légèrement et sorti de la pièce. Tout en remettant mes chaussures, je me fis la réflexion que la comtesse commençait à me parler de plus en plus. Elle n'en devenait pas agréable pour autant, mais peut-être réussirai-je à discuter un peu avec elle. Bon, il ne fallait pas rêver. J'avais toujours l'apparence d'une humaine, et c'était déjà bien. Je ne savais toujours pas si ma maîtresse parlait au second degré lorsqu'elle se qualifiait de sorcière. Son petit numéro dans la chambre m'avait un peu chamboulé. Je me rendis à la cuisine. Cette fois, je n'avais pas grand-chose à préparer, une soupe épaisse de concombres, et un gâteau de pâtes. Son petit déjeuner aurait été, à mon goût, largement suffisant pour la journée. Lorsque j'eus fini, je décidai d'aller explorer l'étage du château. Je repris le même chemin que la nuit précédente, et gravis les escaliers en bois. Je remarquai des détails de la cage d'escalier qui m'avaient échappé. Par endroit, un T et un N gravés dans le bois s'entrelaçaient tendrement. Un coucou en bois indiquait dix heures et quart. Je n'en avais jamais vu auparavant. Sur l'autre mur de la pièce, se trouvaient de nombreux tableaux. L'un représentait une femme nue couchée sur le sol et portait l'inscription « Bacchante endormie ». Un autre s'intitulait « l'enlèvement d'Orithye », et un dernier se nommait « Le verrou ». Je ne connaissais pas les peintres, mais me doutais qu'ils devaient être très connus, et que ces tableaux devaient valoir un certain prix. Je me demandais pourquoi le comte les conservait ici. Tous les trois sur le même mur, aucun ne ressortait. Ils n'étaient pas mis en valeur. Enfin je me tournai pour me retrouver face à la porte en bois.
La chambre du comte était là, juste derrière cette porte. Je pris mon courage à deux mains et je toquai.

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La morsure des Volkov
VampireDans les années 1815, la jeune Marianne entre au service d'un couple étranger venu s'installer en France, les Volkov. Mais rapidement, un pressentiment lui fait comprendre que tout n'est pas normal. Si vous aimez le mystère, le fantastique et le fo...