Chapitre 6

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-Madame ! m'offusquai-je. Comment pouvez-vous penser une chose pareille !

Alors non seulement la vieille était une femme aigrie, et impolie, mais elle était aussi suspicieuse, intrigante et jalouse. Pourquoi étais-je à son service et non à celui du comte !

-Vous avez vu le comte Volkov ce matin. Me dit-elle entre ses dents.

-Oui, dans le jardin. Mais nous ne faisions rien de mal ! Nous discutions des ancêtres de votre famille ! Expliquai-je en essayant tant bien que mal de ne pas m'énerver.

-Vous finirez comme les autres de toute façon...

-Je vous jure que non Madame la comtesse.

Je me demandais de quelles autres elle parlait. Avaient-ils déjà embauché une jeune fille par le passé avec qui le comte aurait-eu une aventure ? Cependant, en côtoyant sa femme rien qu'une demie journée, j'arrivai très bien à le comprendre.

-Il y a intérêt. Reprit-elle. Sinon je vous change en lapin et je vous sers en civet. Compris ?

J'eus soudain un doute sur ses paroles. Était-ce une expression de leur pays ou avait-elle réellement le pouvoir de me métamorphoser ? Et si elle disait vrai ? Non, les sorcières ne pouvaient exister. Pourtant, ce serait l'explication de plusieurs phénomènes. Des sueurs froides coulèrent le long de ma colonne. Je me sentais prisonnière. Je n'étais plus sûre de rien. L'expression paniquée de mon visage ne la perturba pas le moins du monde. Elle termina son assiette.

-Vous préparerez le repas de ce soir. Il sera servi à vingt heure dans la grande salle. Veuillez me faire la lecture à présent. Me dit-elle sans remarquer que j'étais restée immobile, sidérée par ses dernières paroles. Heureusement, sa voix me rappela à l'ordre. Elle me désigna une pile de livre, et je pris celui du dessus. Les sorcières n'existaient pas. Elle disait cela pour m'impressionner.

-Lisez ! m'ordonna-t-elle.

Je m'exécutai. Le livre traitait des végétaux d'Europe des forêts de France, et m'ennuyait au possible. Par chance, la comtesse s'endormit avant moi et je pus sortir sans bruit du petit salon. Je suivis les rats. A présent que je savais que je me trouvais dans l'antre d'une sorcière, tout me semblait suspect. Je comprenais mieux les portes qui s'ouvraient seules et les torches qui s'allumaient à mon simple passage. Comment n'avais-je pas percuté plus tôt ?

Arrivée dans la cuisine, je trouvai une pile de victuailles sur la table. Je ne me demandais même plus qui les avaient apportées. Il fallait me faire aux choses étranges dans ce château. Je pris le menu. La comtesse Volkova me commandait un véritable festin pour le dîner. Pourtant, il était indiqué qu'il n'y aurait que deux convives. Je commençais à être habituée aux excentricités de ma maîtresse. Je me mis donc rapidement au travail. Je n'allais pas chômer cette après-midi là. Je commençai par me rendre dans la grande salle à manger pour dresser la table. Elle était longue de plus de deux mètre, et pourtant la comtesse m'ordonnait sur le papier de disposer les assiettes à un bout et l'autre de la table. Une fois la table présentable, je retournai aux fourneaux. Je préparai une soupe de choux qui était nommée Chtchi sur le menu de la comtesse, de la bouillie et de la viande grillée avec des concombres marinés. Je disposai sur un plateau du jambon et du fromage. Je n'avais jamais préparé la plupart des plats, mais un livre de recettes laissé près du menu m'aidait bien. Madame Volkova m'avait également précisé de lui apporter une bouteille d'anisette. Je terminai de tout préparer une petite demi-heure avant l'heure du service. J'en profitai pour souffler et manger un peu. A vingt heure, j'allai frapper timidement à la porte de la grande salle-à-manger.

-Entrez ! M'ordonna la voix de la comtesse. J'entrai donc et déposai les plats sur la table. Madame Volkova était seule dans la pièce, mais bientôt le comte entra.

-Vous m'avez fait demander ma chère ! Dit-il en s'approchant de la table.

Comme elle le regardait d'un air dur il continua :

-Cependant, je ne sais si je dois m'en réjouir ou en trembler.

Il me salua d'un signe de tête en s'asseyant.

-Alors Tatiana, de quoi voulais-tu me parler ?

-Ne faites pas l'enfant comte Volkov. Maugréa-t-elle.

Elle n'appelait donc pas son mari par son prénom et le vouvoyait alors que celui-ci la tutoyait. Ils n'étaient décidément pas sur la même longueur d'onde.

-Je vous jure ma chère que je n'en sais rien.

-Ce n'est pas moi qui voulait un domestique. Tu sais très bien que je n'en ai pas besoin ! Rugit-elle.

Voir la comtesse en colère me fit frissonner de tout mon être. Elle était déjà assez impressionnante sans hausser la voix. Le comte vit mon malaise :

-Sortez Marianne. Me dit-il doucement.

Lui au moins m'appelait par mon prénom. Je sorti, mais restai proche de la pièce pour écouter le reste de la discussion qui m'intriguait.

-Tatiana, tu as besoin de voir du monde. Tu ne me parles pas à moi, soit. Mais tu peux parler à d'autres.

-Tu l'as emmené ici pour toi !

-Mais non moya dorogaya...

-Ne me prenez pas pour une idiote. Je sais que vous lui avez parlé aujourd'hui.

-Où avez-vous trouvé ça ?

-C'est elle qui me l'a donné, elle pense qu'il est tombé de l'un de vos vêtements.

Il y eu une légère pause.

-N'essayez pas de l'émouvoir. Je vous connais.

-Mais Tatiana...

-Prenez cela comme une menace.

J'entendis le frottement d'une chaise contre le sol, et couru à la cuisine. Je vis la comtesse passer devant la pièce, l'air excédé.

-Demain cinq heures ! Cria-t-elle à mon intention.

Je devinai qu'elle n'avait plus besoin de mes services pour la soirée. Je restai donc à mettre de l'ordre dans la cuisine, ne sachant que faire d'autre. Lorsque j'estimai qu'il se faisait assez tard, je me rendis dans la cuisine pour débarrasser. Je commençai à retirer les assiettes. La comtesse n'avait rien mangé. Et dire que j'avais passé l'après-midi en cuisine... Le comte n'avait pas mangé grand-chose. Le pauvre. Sa femme avait vraiment une jalousie déplacée. Pourquoi ne partait-il pas ? Peut-être cette sorcière lui avait-elle jeté un sort. C'est alors qu'un bruit de respiration me fit lever les yeux. Le comte était là, face à moi. Il n'avait jamais quitté la pièce. 

La morsure des VolkovOù les histoires vivent. Découvrez maintenant