Le bal qui était prévu pour la fin du mois de novembre arrivait à grands pas. Le comte s'évertuait à m'assurer qu'il n'y avait aucun danger, mais mon instinct me poussait, cette fois, à faire plus confiance à sa femme. La comtesse se renfermait petit à petit sur elle-même et me parlait de moins en moins depuis sa mise en garde. La veille du départ, elle me demanda cependant, après son repas du midi, de la raccompagner à sa chambre. J'étais surprise car après manger j'avais l'habitude de lire un livre à la comtesse.
-Fermez la porte. Dit-elle lorsque nous fûmes dans sa chambre.
Je fermai donc délicatement la porte avant de m'apercevoir que Tatiana Volkova me scrutait minutieusement des pieds à la tête.
-Qu'y a-t-il, Madame la comtesse ?
-Comment comptez-vous vous habiller pour le bal ?
-Je pensais mettre ma robe du dimanche. Je ne ferai pas honneur à votre mari, mais c'est ma plus belle robe.
La comtesse grogna, et me fit signe de la tête d'approcher. Elle ouvrit le coffre en bois qui se trouvait aux pieds de son lit. Une magnifique robe violette se trouvait à l'intérieur. Elle la sortit, et la plaça devant moi. Elle allait me prêter une robe de bal ! Mon sang ne fit qu'un tour et mes lèvres montèrent rejoindre mes oreilles. A ce moment, j'aurais volontiers sauté dans les bras de la comtesse. Je vis son visage se tordre en moue, puis elle replia la robe. Elle en sortit une dans les tons orangés. J'eus le droit à la même expression de dégoût. Elle sortit ensuite une blanche qu'elle replia sans même la visualiser sur moi. Je me demandais comment autant de robes pouvaient tenir dans un aussi petit coffre. Enfin elle sortit une robe verte. Ce fut le coup de cœur, autant pour moi que pour elle, à en juger par une esquisse de sourire naissant sur son visage. La jupe vert émeraude était décorée de quelques fleurs brodées discrètement, sur le haut, et sur la frise du bas. Le corset vert clair se fermait à l'arrière par un laçage plus foncé. De la dentelle blanche décorait le décolleté.
-Vous irez au bal avec cette robe. Me dit-elle en me tendant la robe.
-Oh merci ! Merci beaucoup Madame la comtesse ! Répondis-je touchée.
-Tâchez de ne pas l'abîmer... bougonna-t-elle.
Elle me confia une bourse pour aller avec, et me pressa de sortir de la chambre. Je devais préparer le dîner, et nettoyer le rez-de-chaussée. J'avais de temps en temps des tâches de ménage à effectuer, mais mes maîtres n'étaient pas particulièrement tatillons sur ce point. Ce qui pouvait s'expliquer par la fréquence quasi-nulle de leurs visiteurs. Ce jour-là, je travaillai jusqu'au soir. Je n'eus pas le temps d'aller discuter avec le comte. Enfin, le soir arriva. Je servis le dîner de la comtesse, remis toute la cuisine en ordre, aidai la comtesse à se coucher, et retournai dans ma chambre. Je m'assis sur le lit et soufflai. La journée avait été épuisante. Heureusement, j'allais passer deux jours à danser, car en effet, les festivités duraient deux jours. La robe était devant moi. Je l'imaginais déjà sur moi, je me voyais aux bras du comte, tournoyant au rythme de la musique parmi les invités. Je regardais le tableau du comte au-dessus de mon lit. J'avais de la chance d'avoir un maître comme lui. Trop excitée pour trouver le sommeil, je me retournai et retournai dans mon lit. Il me sembla que je venais de m'endormir quand il fut l'heure de se lever. Je m'habillai, fis un brin de toilette, et préparai le petit déjeuner de la comtesse. Comme tous les matins, j'allai la réveiller.
-Que faites-vous ici ? me demanda-t-elle alors.
-Je viens vous réveiller, Madame la comtesse.
-Petite idiote, la calèche part dans cinq minutes. Le comte doit vous y attendre !
-Je ne pensais pas...
-C'est bien ça le problème ! Allez, filez !
Je ne me le fis pas dire deux fois. Heureusement, mes bagages étaient prêts. Pourquoi ne pas m'avoir prévenue que le départ avait lieu si tôt !
Ce fut donc haletante mais à l'heure que j'arrivai sur le perron. Le comte Volkov avait déjà pris place dans la calèche. Il sourit lorsqu'il me vit arriver, et me tendit la main pour m'aider à monter. Je m'assis près de lui en le remerciant, et les chevaux se mirent en marche. Au début, aucun de nous deux ne prit la parole, puis le comte brisa la glace :
-Tatiana vous a donné une de ses robes à ce que j'ai entendu dire.
-En effet.
-Laquelle est-ce ?
-Une verte.
-Oh ! Je vois... Très bon choix. Vous serez magnifique.
-Merci, Monsieur le comte.
-Il faudra arrêter de m'appeler « Monsieur le comte » quand nous serons là-bas, n'oubliez pas... Vous m'appellerez Nikita.
Je hochai la tête. J'allai tâcher de m'en souvenir, même si je sentais qu'appeler mon maître par son prénom ne serait pas du tout naturel.
-Dites-le.
-Quoi donc ?
-Mon prénom.
J'avais compris qu'il fallait que je me fasse violence pour prononcer ce prénom. J'avais l'impression de dépasser l'interdit, presque de faire quelque chose de mal en l'appelant ainsi. Ce n'était pas ma place. J'entrouvrit la bouche pour prononcer le nom tant attendu. Le comte fixait ma bouche, comme suspendu à mes lèvres.
-Ni...
Le comte hocha lentement la tête sans dévier le regard, il semblait se délecter de mes paroles.
-...kita.
Il ferma les yeux en inspirant, et je me pinçai les lèvres, étrangement mal à l'aise.
-Voyez, ce n'était pas si difficile. Dit-il enfin.
-Non, mentis-je. J'aurais eu trop de mal à lui expliquer ce qui me mettait mal à l'aise.
-Tatiana ne vous a pas donné de bijoux avec la robe ?
-Non, seulement une bourse assortie à la robe.
-Qu'y avait-il à l'intérieur ?
-Je n'ai pas regardé...
Il me fit signe que j'aurais peut-être dû. Je le regardai d'un air interrogateur. La seule façon de le savoir était de regarder. Je retirai la bourse de mon sac et l'ouvris.
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La morsure des Volkov
VampireDans les années 1815, la jeune Marianne entre au service d'un couple étranger venu s'installer en France, les Volkov. Mais rapidement, un pressentiment lui fait comprendre que tout n'est pas normal. Si vous aimez le mystère, le fantastique et le fo...