Chapitre 14

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Je reculai d'un pas, effarée.

-moya dorogaya...susurra-t-il en avançant vers moi, la main tendue.

Il avait la bouche entr'ouverte, et haletait comme un chien. J'avais l'impression que sa mâchoire se déformait sous ses spasmes.

Je me reculai précipitamment jusqu'à taper contre le mur derrière moi. Il avait perdu la tête, ce n'était pas possible ! Ses yeux étaient rouges, ses traits tendus déformaient son visage. Une larme de panique coula sous mon masque. Je n'avais aucune échappatoire. Les autres convives étaient bien trop occupés à déchiqueter leurs proies pour me porter de l'attention, ce qui en un sens valait sans doute mieux.

Le comte continuait à se rapprocher de moi.

-Monsieur ! Arrêtez ! Paniquai-je. Votre femme...

Mes mots semblèrent avoir eu de l'effet. Il s'immobilisa, et détourna son regard de moi. Il ferma les yeux, et fut pris de nouveaux tremblements.

Je me sentais désemparée. Je ne savais comment réagir.

Enfin Nikita reprit contrôle de son corps, et me regarda à nouveau dans les yeux. Son iris avait retrouvé sa couleur bleue habituelle. Il regarda la boucherie à laquelle il avait pris part quelques secondes plus tôt, et vit mon air paniqué.

-Je suis désolé. S'excusa-t-il. J'ai un peu perdu le contrôle.

Selon moi, ce n'était pas qu'un peu.

-Cela ne se reproduira plus. Venez. Me dit-il en me tendant la main.

Je n'avais d'autres choix que d'accepter. Je ne pouvais faire confiance à personne d'autre. Je récitai toutes les prières que je connaissais le plus vite possible, et déposai ma main dans celle du comte.

-Sortons de cette pièce. Me proposa-t-il.

J'acquiesçai en hochant frénétiquement la tête. Nous sortîmes pour nous retrouver dans la grande salle par laquelle nous étions arrivés. Mais à peine étions nous sortis que le duc Proklyatyy apparut derrière nous.

-Baba n'a pas l'air affamée. Dit-il d'un air moqueur. Mon dîner était-il mauvais ?

-Elle n'apprécie guère manger avec autant de compagnie. Répondit Nikita à ma place.

J'ignorai si la façon dont le duc m'avait appelé était un nom de chez eux. J'étais trop intimidée pour demander quoi que ce soit.

-Eh bien espérons que vous apprécierez mon petit spectacle. Répondit le duc. A mon grand désespoir, il nous fit monter sur l'estrade qui surplombait la grande salle.

C'était une très belle salle baroque, recouverte de moulures dorées et de tableaux. Les colonnes torsadées marquaient toutes les portes de la pièce, et encadraient les fenêtres. Elle était éclairée par les nombreux chandeliers et par les lustres vénitiens accrochés au plafond.

Les deux statues qui gardaient le haut de l'escalier se mirent lentement en mouvement, au son des violons. Elles avaient sorti des foulards noirs et verts de nulle part, et les agitaient au rythme de la musique. J'étais habituée au chandeliers automatiques du château des Volkov, mais ces statues semblaient plus vraies que nature.

-N'ayez pas peur. Me chuchota Nikita. Je suis là.

Même s'il m'avait donné une frousse inimaginable, je ne pus m'empêcher de serrer son bras un peu plus fort. J'étais terrorisée.

Puis des hommes miniatures firent irruption dans la salle en faisant des saltos sur les balustrades des plus hautes fenêtres de la pièce. Ils sautaient de fenêtre en fenêtre et se rapprochaient de nous. Ils finirent leur course en retombant devant nous. Ils nous saluèrent en retirant leurs chapeaux haut de forme, et laissèrent s'échapper des chauves-souris, ou des rats. On n'eut dit une mauvaise parodie de magicien. Puis, ils tendirent un drap rouge entre eux. Je sentais déjà que je n'allais pas applaudir quand ils le soulèveraient. Je comprenais pourquoi Tatiana avait si peur. Le drap se déchira, laissant la place à une contorsionniste nue. Telle une araignée, elle bougeait ses pattes dans tous les sens, se recroquevillait et se dépliait sous le regard admiratif de ses spectateurs. Elle tordait son dos dans des positions inimaginables, passait ses jambes par-dessus et par-dessous sa tête. Cet entrelas de membres me donnait la nausée. Elle affichait sa nudité aux yeux de tous, et chacun semblait s'en réjouir. Enfin elle s'immobilisa, les invités applaudirent, et je respirai enfin. Je devais avoir la peau plus verte qu'autre chose. Mais je me trompais, ce n'était pas la fin du spectacle. Sous mes yeux médusés, ses jambes fusionnèrent et se couvrirent d'écailles. La partie basse de la femme se métamorphosait en queue de serpent. Je trouvais cela immonde. La queue ondula quelques instants sur le sol avant d'entourer le pied de l'un des nains. En moins d'une seconde, la femme serpent l'avait propulsé dans les airs, et la seconde d'après, il finissait dans la gueule de la femme. Après l'avoir englouti, elle se lécha les babines, et salua comme après un spectacle. Elle reçut un tonnerre d'applaudissements.

J'avais fermé les yeux. C'était la pire chose que j'avais vu dans ma vie.

-Tout va bien ? me demanda Nikita.

-Je ne sais pas...

Le duc s'avança devant nous pour faire face à la foule. Il réclama le silence dans les deux salles.

-Le bal va commencer. Que les couples se forment ! Annonça-t-il.

-Tatiana, me ferez-vous l'honneur pour cette première danse?

J'acceptai silencieusement. Qui d'autre autrement ? Nikita attrapa ma main et s'inclina pour me faire un baisemain. Il ne devait pas y avoir beaucoup de domestiques auxquels les maîtres faisaient une chose pareille. Nous nous mîmes en position, une de mes mains sur son épaule, l'autre soutenant ma robe. Lui tenait dignement l'une de ses mains dans son dos, et l'autre à ma taille.

Le duc fit un signe au chef d'orchestre, et la musique retentit.

La morsure des VolkovOù les histoires vivent. Découvrez maintenant