« Nikita Volkov, 1561-1595 ». Comment était-ce possible ? Je reculai instinctivement, saisie par la peur et l'incompréhension.
-Tout va bien ?
Je sursautai en me retournant. Le comte Volkov venait de surgir derrière moi. Il souriait comme à son habitude, jusqu'à ce qu'il ait sans doute compris que le fait de lire son nom sur une tombe vieille de plus de deux cent ans m'avait perturbé.
-Ah, vous avez lu l'inscription. Souffla-t-il en s'approchant de moi l'air triste.
Je hochai la tête. Il s'arrêta à quelques centimètres de moi, fixant la tombe.
-C'est la tombe de l'un de mes illustres aïeuls. Je n'ai pu me résoudre à la laisser là-bas.
-Vous portez son nom...
-Oui, c'est pour cela qu'il m'est très cher. Il est mort à cause de la bataille de Cecora. Mais cela doit vous ennuyer... soupira-t-il.
-Pas du tout Monsieur le comte ! Protestai-je. Dites m'en plus.
-Cette bataille a eu lieu lors de la guerre des magnats moldaves qui voyait s'affronter d'un côté la République de deux Nations, avec la principauté de Moldavie, de l'autre l'Empire Ottoman et le Khanat de Crimée. Mon aïeul venait en aide aux premiers. Il se battait comme un dieu, c'est lui qui faisait le plus de dégâts dans le camp adverse. Il avait laissé chez lui sa femme, enceinte de leur premier enfant. Son seul vœu était de rentrer à temps pour voir la naissance de son fils. Sa femme était magnifique, malheureusement pour elle, car elle a attiré l'œil de celui qui nous menait, Jan Zamoyski. Zamoyski a été fait prisonnier de Ghazi II Giray, le khan de Crimée. Il lui a alors promis qu'en échange de sa liberté, il lui offrirait la plus belle femme du royaume. Le khan demanda à la voir. Alors Zamoyski l'a conduit jusqu'à chez moi, et le khan subjugué par la beauté de la comtesse, décida de la garder pour lui. La victoire fut remportée par la République des deux Nations, et la principauté de Moldavie. Le comte rentrait donc chez lui victorieux sans se douter de ce qui l'attendait. En apprenant que sa femme avait été enlevée, il entra dans une colère folle. Il lança seul une offensive vers la Crimée. Il vouait une haine immense envers les dirigeants des deux partis. Il avait tellement de hargne que rien ne l'arrêtait. C'est alors qu'un messager lui apprit que sa femme s'était donnée la mort pour ne pas avoir à subir la honte que lui infligerait le khan. Ce n'était pas vrai, mais le comte l'ignorait. Il se jeta dans le fleuve Bolnak et y mourut. Mais la tragédie ne s'est pas arrêtée là ! Le khan s'est arrangé pour récupérer ma tête. Il la planté sur un pieux et l'a montré à ma femme qui restait en vie car elle savait que la nouvelle de sa mort tuerait son mari. Voyant cela, la belle comtesse sauta de la plus haute tour du château, emportant avec elle la tête de son défunt mari.
Il marqua une pause. Je me tournai vers lui, émue par le discours du comte. Lui l'était plus qu'il ne l'aurait voulu. Je remarquai une larme qui coulait le long de la joue du comte.
-Tout va bien, Monsieur Volkov ? demandai-je.
-Oui, oui, ne vous inquiétez pas. Hum, je dois vous laisser.
Il s'éloigna rapidement de moi, l'air troublé. Je le regardai s'éloigner. J'avais remarqué les incohérences de son discours, passant de la première à la troisième personne. Il m'avait l'air très émotif pour une histoire, certes triste, mais vieille de plus de deux cent ans. Le comte ne me disait pas tout. Après tout, je n'étais qu'une domestique. Je regardai encore la tombe un moment. Au moment de repartir vers le château, une lueur étincelante attira mon attention dans l'herbe. Je me penchai. Il s'agissait d'un petit diamant. Il avait dû tomber d'un vêtement du comte. Je le mis dans ma poche, bien décidé à le lui rendre. Je repris ensuite le chemin du château. Je n'avais pas encore pris le temps d'admirer le bâtiment dans son ensemble. Il était magnifique, je ne pouvais pas dire le contraire. La façade en marbre à laquelle je faisais face comprenait quatre rangées de fenêtres, dont les contours étaient richement décorés. A chaque angle, une tour s'élevait vers le ciel. Les fenêtres alternaient avec les meurtrières en fonctions des étages. Au-dessus des mâchicoulis de la partie centrale, il y avait comme un château miniature rajouté sur le premier, avec comme pour celui-ci une belle façade, et des petites tours dans les coins. Ma mère serait fière de me voir travailler dans un endroit aussi beau. Enfin de jour en tout cas... je remontai les marches qui m'avaient tant effrayé la veille. Il était presque l'heure pour la vieille comtesse de prendre son déjeuner. Je fis réchauffer ce qui en avait besoin, et apportai le plateau à la comtesse. Je frappai à la porte de son petit salon. N'entendant pas de réponse, je pris la liberté de pousser doucement la porte.
-Quelqu'un vous a dit d'entrer ? Fit la voix de la comtesse derrière moi.
Je sursautai, manquant de faire tomber son repas.
-Non Madame la comtesse. Désolée.
-Bon, au moins vous avez fait à manger. Vous n'êtes pas totalement inutile.
J'avais vraiment du mal à ne pas lui répondre. Elle m'arracha le plateau des mains et commença à dévorer ce que j'avais préparé.
-Savez-vous où je peux trouver Monsieur le comte ? Lui demandai-je tout à coup.
Elle releva les yeux.
-Je pense qu'il a perdu ça. Dis-je en sortant le diamant de ma poche.
-Donnez-le moi. Hurla-t-elle.
J'obéis. Elle me regarda d'un œil mauvais.
-Je vous interdit d'avoir une liaison avec le comte Volkov.

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La morsure des Volkov
VampirosDans les années 1815, la jeune Marianne entre au service d'un couple étranger venu s'installer en France, les Volkov. Mais rapidement, un pressentiment lui fait comprendre que tout n'est pas normal. Si vous aimez le mystère, le fantastique et le fo...