Chapitre 5

65 3 0
                                        


2114

Charlie se présenta à la réception du laboratoire à huit heures précises et demanda à voir Martin Miller. La secrétaire passa quelques coups de fil avant d'indiquer un siège à Charlie dans la salle d'attente. Docile, il s'installa et prit un magazine au hasard sur la pile. Il était en train de s'instruire sur la vie sentimentale d'une célébrité quelconque, lorsqu'un flash info débuta à la télévision. Charlie ainsi que quelques autres personnes levèrent le nez de leur lecture pour s'enquérir des nouvelles du jour.

A la une aujourd'hui, comme toujours les problèmes écologiques qui frappent l'Europe toute entière, ainsi que le reste du monde. En effet, la qualité de l'air se détériore de jour en jour, de plus en plus de personnes sont hospitalisées ou assignées à résidence, car elles ne supportent plus l'air ambiant. D'autres ont adopté le masque à oxygène pour leurs sorties quotidiennes. Face à la morosité ambiante, certains se tournent vers la religion, d'autres vers le biologiste bien connu, Martin Miller, qui affirme avoir la solution à tous les maux terrestres. Longtemps tourné en dérision, les autorités semblent étonnamment lui accorder de plus en plus de crédit lorsqu'il prétend sauver le monde en le plongeant dans un profond sommeil et...

Charlie cessa d'écouter la litanie du présentateur. Il connaissait le refrain par cœur, Miller faisait la une des tabloïds et de la presse en général depuis plusieurs mois. Au début, à l'entendre parler de réincarnation, Charlie, comme beaucoup de ses semblables, avait cru qu'il s'agissait là du délire d'un illuminé. Mais le désespoir de la population grandissant – et celui de Charlie par la même occasion - il avait commencé à écouter les interviews de Miller et à lire ses livres.

Tandis que le jeune homme cherchait encore à comprendre comment il avait pu se laisser embrigader dans pareille histoire, confortablement installé dans son bureau, Martin Miller lisait le Curriculum Vitae de Charlie. Plutôt sceptique par rapport aux compétences du jeune garçon, il avait néanmoins décidé de prendre la peine de le recevoir, intrigué par un détail de son parcours : son changement d'identité. La curiosité piquée au vif, il sortit de son bureau, un dossier à la main, et descendit chercher Charlie qui l'attendait en bas depuis près d'une heure, à en croire sa secrétaire.

Arrivé au rez-de-chaussée, il identifia rapidement le postulant, en costume cravate, le regard inquiet. Ce dernier avait plutôt belle allure, avec ses cheveux blonds décoiffés, son visage carré aux pommettes saillantes et son mètre quatre-vingt.

— Charlie Duchâteau ? Appela Miller.

Le jeune homme se retourna, prit quelques secondes pour observer le nouveau venu, reconnut l'homme qu'il avait pu voir à la télévision, acquiesça et se leva. Il le rejoignit en quelques pas à peine et réalisa que Miller était bien plus petit que lui, bien moins impressionnant que ne le laissaient penser les médias. De plus, son crâne commençait à se dégarnir sur le dessus, ce que les caméras s'étaient appliquées à dissimuler.

Les deux hommes se sourirent et surent immédiatement qu'ils s'entendraient et se comprendraient. Cette connivence instantanée déstabilisa Miller, qui considérait initialement ce rendez-vous comme une simple distraction dans son travail.

Séparé de Miller par un bureau, Charlie s'arrachait les cuticules, dans une veine tentative de gérer son stress. Il avait développé cette manie des années auparavant et ne parvenait plus à s'en défaire depuis. Toutefois, cela lui permettait de garder un visage impassible, si bien que Miller ne se douta pas une seconde de l'état de nervosité qui ravageait son interlocuteur.

L'homme en grisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant