Chapitre 16

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Depuis l'autre bout de la pièce, un homme avait allumé l'écran à l'aide d'une télécommande. Il était grand, le cheveu ras, le regard torve. Et surtout, il portait un revolver à sa ceinture. Terrifiée, Sophie se précipita aussi silencieusement que possible derrière une étagère.

Jerry Ryner s'avança d'un pas assuré jusqu'au chœur. L'écran affichait un menu proposant plusieurs options. Il en sélectionna une et l'image bascula sur les visage de Sophie et Jenny, assises au bord d'une rivière.

Sophie retint un cri. Elle connaissait cet endroit pour s'y être rendue de nombreuses fois en compagnie de son amie au cours du dernier été. Elle n'aurait jamais imaginé qu'un homme puisse les filmer, et encore moins qu'il puisse bâtir un véritable temple informatique en cet honneur.

— Sophie... Tout va bien ?

— Tout va bien, ne t'inquiète pas pour moi.

— Tu veux un câlin ?

— Tout va bien, je te dis.

Sophie déchanta. Elle n'avait jamais eu cette conversation. Certes, sa mémoire avait tendance à lui jouer des tours, mais elle était absolument certaine de ne jamais avoir prononcé un seul de ces mots. S'imposa alors une réalité qu'elle avait jusqu'alors préféré repousser : si elle était dans le corps d'Émilie, il était probable qu'Émilie soit dans le sien.

— Je suis désolée. Tu as raison, ça ne va pas trop. Je me pose beaucoup de questions.

Le visage illuminé par la télévision, Ryner avait l'air inquiet. Qu'adviendrait-il si Emilie décidait de révéler qui elle était réellement à son amie ?

— Charlie, l'homme en gris, l'escalier, tu te rappelles?

— Charlie ? C'est quoi toute cette histoire ?

Sophie, les yeux exorbités, déchantait. A présent, il n'y avait plus aucun doute possible. D'une manière ou d'une autre, les deux jeunes filles en était venues à échanger leurs identités. Cela n'expliquait toutefois pas pourquoi elle se retrouvait dans un monde post apocalyptique dans un bunker, ni comment et pourquoi cet homme étrange l'observait par écran interposé.

Prise par ces réflexions, elle en oublia de retenir sa respiration. Jerry éteignit l'appareil et se retourna, scannant du regard les différents couloirs de machines. Et soudain, il la vit, recroquevillée derrière un amas de fil. L'espace d'une seconde, leurs regards se croisèrent. La traque pouvait commencer.

L'adrénaline fournit à son corps l'énergie et le souffle nécessaire pour courir. Elle ignorait qui était cet homme, tout comme elle ignorait ce qu'il adviendrait d'elle si elle ne parvenait pas à le semer. Mais elle savait une chose : il ne lui voulait pas du bien. Elle devait donc filer à toute allure, rejoindre le bunker et refermer à jamais cette maudite trappe. Sa vie en dépendait. Mais s'il la suivait jusque-là ? Alors, elle n'aurait plus aucune issue. Prise au piège, elle finirait entre ses griffes. Valait-il donc mieux qu'elle prenne d'autres couloirs, de manière aléatoire, jusqu'à perdre son chasseur ? Cela semblait effectivement plus judicieux que de lui faciliter la tâche en le guidant jusqu'à son refuge. Mais comment pourrait-elle ensuite retrouver son chemin à travers les couloirs, véritable labyrinthe bétonné ?

De toute manière, elle venait de franchir la porte, Jerry Ryner à ses trousses. Elle n'aurait pas à prendre de décision avant une demi-heure de course, et elle n'était pas certaine de tenir jusque-là. Ses capacités physiques étaient limitées, d'autant plus après deux heures de marche souterraine.

A bout de forces, elle trébucha, après quelques minutes à peine. Cinq secondes plus tard, Ryner la plaquait violemment sur le sol. Si elle avait douté jusqu'alors qu'il lui voulait du mal, elle était à présent fixée.

— Qui êtes-vous ?

— Qui suis-je, où vais-je, ... Toujours les mêmes questions, marmonna-t-il.

Et soudain, les pièces du puzzle s'assemblèrent. C'était donc lui, le mystérieux médecin dont lui avait parlé Mac Queurty. Et ces yeux... Était-il possible... ? Il n'avait plus le même visage, mais elle vivait dans un monde où cela n'avait pas vraiment d'importance. Un monde de tous les possibles où vous ne pouviez reconnaître un homme que d'après son regard. Les yeux, les fenêtres de l'âme. Elle songea aux yeux gris de John. Alors, tout lui revint en mémoire. Charlie, son père, l'accident. Absolument tout.

— Je sais qui vous êtes ! hurla-t-elle de tout son cœur.

— Moi aussi je sais qui tu es, répondit-il calmement en l'attrapant par les cheveux.

De retour dans la salle informatique, Jerry Ryner avait ligoté Sophie à son siège. Les yeux cernés, la bouche en sang, les pieds en bouillie, son regard n'en avait pas pour autant perdu de sa détermination. Au contraire, la belle jeune fille semblait plus déterminée que jamais.

— Et maintenant ? demanda-t-elle.

— Maintenant, tu me dis ce que tu as vu.

— Je pense que ce serait plutôt à vous de vous expliquer, si je peux me permettre !

— Quelle importance. Tu ne représentes pas une réelle menace, avec tes poumons déglingués et tes genoux cagneux.

Il avait raison. Son corps tout entier criait de désespoir et de douleur. Mais là n'est pas la véritable force. Effectivement, elle ne sortirait certainement pas de cet entrepôt vivante, mais rien ne l'obligeait à lui faciliter la tâche. Et si elle voulait en apprendre davantage, il lui faudrait prêcher le faux pour savoir le vrai.

— J'ai vu les images. Et je suis loin d'être stupide, je sais ce que vous manigancez. D'autant plus que nous nous connaissons, si je ne m'abuse.

Il redoubla d'attention. Les paroles de Sophie semblaient l'inquiéter.

— C'était la volonté de Charlie. Je n'avais pas le choix.

— On a toujours le choix.

C'était une phrase bateau. Le genre de choses qu'on dit à tort et à travers. Mais, curieusement, elle semblait avoir fait effet à Jerry, qui recula d'un pas, l'air horrifié.

— Alors tu sais.

— Je sais.

— Là encore, tu ne me laisses pas le choix, dit-il en dégainant son arme.

L'homme en grisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant