2014Accoudé à sa fenêtre, une cigarette à la main, John Mac Queurty s'appliquait à détruire ses poumons. Soufflant bouffée après bouffée, il inhalait le tabac qui détruisait son corps depuis maintenant une dizaine d'années.
Il avait emménagé dans cet appartement dix ans auparavant. Il était à l'époque assez coquet, mais au fil des années, son hygiène de vie s'était considérablement dégradée, de même que l'état de son logement. Il venait alors de divorcer, après trente ans de vie commune. Il s'était de ce fait montré très peu sociable vis-à-vis de ses voisins, à la limite de l'impolitesse.
Bien évidemment, ceux-ci n'avaient pas tardé à jaser. Qui était donc cet énergumène, ce personnage hétéroclite sorti de nulle part ? Mais bien vite, l'extrême discrétion du vieil homme avait calmé les esprits. La concierge avait admis qu'il ne posait aucun problème et en avait conclu que tant qu'il ne ferait pas de vagues, Monsieur Mac Queurty aurait droit à une paix royale. Les autres habitants de l'immeuble avaient opiné et désormais le locataire du 14 A était libre de jouir de sa solitude.
Sa cigarette achevée, il en alluma immédiatement une autre et pensa à tout ce qui aurait pu se produire, si les choses avaient tournées autrement. Il aurait pu être heureux. Avoir une femme, des enfants, une famille. Donner du sens à sa vie. Mais il n'avait rien fait de tout cela. Sans doute était-il trop occupé par la recherche de la vérité. Il lui avait fallu toute une vie pour comprendre le caractère intangible de ce qu'il avait découvert. Et aujourd'hui, il avait la très nette impression d'avoir manqué le coche, d'être passé à côté de sa propre existence en tentant vainement de la décoder. Il repensa à tout le mal qu'il avait fait autour de lui. Ces gens qu'il avait fait souffrir, ces familles qu'il avait détruites... Et tout cela au nom de quoi ? Au nom d'une simple croyance, une folle hypothèse, un espoir.
Soudain, la sonnette de son immeuble retentit. Il écrasa alors son mégot dans le cendrier disposé sur l'appui de fenêtre à cet effet et se précipita sur l'interphone.
— John ? C'est Jerry.
— Monte.
Le vieil homme raccrocha et tenta vainement de faire un peu d'ordre dans la pièce avant l'arrivée de son invité. Alors qu'il cachait un vieux reste de lasagne sous le canapé, Jerry Ryner fit son entrée dans l'appartement, une mallette à la main.
— Pas de ça avec moi, John. Je sais pertinemment que tu vis comme un porc.
Mac Queurty contesta, marmonnant quelques insanités dans sa barbe, laquelle lui grattait d'ailleurs de plus en plus. Et s'il avait des puces ? S'inquiéta-t-il tout à coup. Il faudrait peut-être qu'il pense à se raser... Et à arrêter de fumer. Et de boire. Et peut-être devrait-il se trouver une raison de vivre et changer ses draps, par la même occasion. Cette idée lui sembla si absurde qu'elle le fit sourire.
— Qu'est-ce qui te prend de sourire comme ça ? Tu fais peur, on dirait une version crade du père Noël, l'attaqua Ryner, cinglant.
Le sourire du vieil homme disparût, cédant la place à une expression neutre, et pourtant marquée par une infinie tristesse. De toute évidence, la vie n'avait pas ménagé cet homme-là.
— Je suppose que tu n'es pas simplement venu pour juger mon mode de vie. Qu'est-ce qui t'amènes ? demanda Mac Queurty, tout en cherchant dans son armoire des verres propres. Un scotch ?
— Il est dix heures du matin, John. Une grenadine, ça sera très bien.
Au vu du regard hagard de son hôte, il modifia sa commande : un verre d'eau du robinet lui conviendrait également. Pendant que le vieillard le servait, Ryner, s'attarda quelques secondes sur le décor de l'appartement. Tout était sale, en désordre, le sol collait, des papiers maculaient la table de la salle à manger, de même pour la table basse du salon. Curieux, ce quarantenaire propre sur lui se risqua à tendre la main pour attraper une liasse de papiers. Comme il s'y attendait, ils concernaient tous le Projet Retour qu'il avait mis au point avec Mac Queurty, du temps où il était encore un chirurgien renommé.
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L'homme en gris
Fiksi Ilmiah"C'était logique, mathématique, cartésien. Mais la vie n'est pas logique. Dénuée de tout fil conducteur, la vie s'écoule, à l'aveuglette. La vie blesse, la vie donne, la vie trompe, vole, s'évapore, arrache et punit. La vie se joue de nous tous sans...