Chapitre 19

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2014

Le Professeur Lenoir, seul face à son ordinateur, cherchait désespérément à joindre Charlie. Cela faisait à présent une heure qu'il était aux abonnés absents, ce qui, en dix ans d'étroite collaboration, ne lui était encore jamais arrivé. Alors qu'il en était à sa cinquante-troisième tentative, Miller et Ryner firent irruption dans la pièce. Leurs fronts ruisselaient de sueur.

— Il a répondu ?

— Toujours pas, annonça le professeur.

— Connectez-vous sur le canal d'Emilie.

— Vous croyez vraiment que c'est la priorité ? s'exclama le professeur.

Et les deux hommes d'acquiescer. Ils avaient quitté la jeune fille alors qu'elle était confrontée à une situation délicate. Emilie était sur le point de craquer et de dévoiler leur secret à Jenny.

Le Professeur haussa les épaules. De toute manière, concernant Charlie, il ne pouvait rien faire de plus.

— Je ne sais pas par où commencer.

— Tu pourrais commencer par le commencement.

Émilie sourit. Elle aimait bien Jenny, sa gentillesse et sa douceur. Elle n'aurait pu trouver meilleur confidente, et pourtant, elle était anxieuse à l'idée de tout lui révéler. Charlie avait été clair : elle ne devrait jamais en parler à personne. Ce jour-là, il avait répété « personne » trois fois. Ce ne pouvait pas être plus clair. Dire la vérité à Jenny, c'était, en un sens, trahir Charlie.

— Je n'ai aucune idée de ce qui a pu se passer entre Sophie et toi au cours de ces dernières semaines. En vérité, je n'ai aucune idée de ce qui s'est passé au cours des dix dernières années.

Jenny fronça les sourcils. Si elle disait vrai, cela signifierait que ses derniers souvenirs remontaient à ses cinq ans. Cela n'avait aucun sens. Et, détail non négligeable, pourquoi Sophie parlait-elle d'elle-même à la troisième personne ?

Réalisant que son entrée en matière était trop abrupte, Émilie prit la main de son amie dans la sienne. La chaleur de sa peau la rassura. A présent qu'elle s'était lancée, elle ne pouvait plus faire marche arrière.

— Je m'appelle Émilie. Je suis née en 2104. Je souffre d'une insuffisance pulmonaire et je suis clouée dans un lit d'hôpital depuis mes deux ans.

Jenny arracha sa main de celle d'Émilie et se releva subitement.

— Sophie, tu es un peu perdue depuis ton opération. Tu devrais rentrer. Je te raccompagne si tu veux.

— Non, je t'en prie. Reste.

— Tu te rends compte que c'est complètement délirant, ce que tu me racontes ?

Émilie hocha la tête. Evidemment qu'elle s'en rendait compte. Elle avait eu beau se creuser la tête pendant de longues minutes – de même que le narrateur qui, afin de conférer un peu de réalisme à ce passage, avait même tenté de reproduire cette scène, suscitant la moquerie de ses proches - elle n'avait pas trouvé de manière plus subtile d'exposer sa situation.

— Je sais que c'est dingue. Je sais que ça donne juste envie de s'enfuir en courant et si je le pouvais, je t'assure que je le ferais. Mais là, il se passe des choses... Des choses que je suis incapable d'expliquer. Et j'ai juste besoin... de quelqu'un qui m'écoute.

Jenny hésita quelques secondes. Aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle avait toujours été passionnée par le paranormal, l'étrange, l'invraisemblable. Elle avait lu plusieurs livres sur le sujet et avait plutôt tendance à croire en ce genre de phénomènes. Elle aimait à penser que le monde, au-delà des lois de la physique qui le délimitaient, avait une raison d'être plus profonde, et qu'il existait, quelque part, un je ne sais quoi mystique et inexplicable qui faisait que la vie avait du sens.

L'homme en grisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant