2114
Jerry Ryner, face à l'évier du sas de sécurité de la salle d'opération, savonnait ses mains. Ceci fait, il enfila ses gants, admirant au passage le reflet de son visage dans la glace. Il était plutôt bien conservé pour son âge. Bel homme, le regard mystérieux, une barbe soyeuse. Satisfait, il fit son entrée dans l'arène, tel un lion majestueux. Plusieurs infirmières, en pamoison, l'attendaient.
L'opération du matin s'était bien passée. Mis à part l'incident provoqué par Charlie, son plan se déroulait comme sur des roulettes. A vrai dire, lorsque Miller lui avait appris, la veille, que son assistant souhaitait assister à l'intervention, il avait craint de la part de Charlie une réaction bien plus excessive que ce qu'elle n'avait été. Il s'était néanmoins félicité d'avoir exigé que les portes soient verrouillées. Sans quoi, les conséquences de ce débordement auraient pu être catastrophiques. Il préférait ne pas y penser.
Il lui fallait à présent passer à la petite Émilie. Il n'était pas particulièrement sujet à la fatigue, et était par ailleurs habitué à enchaîner les opérations. Mais celle de ce matin n'était pas une opération ordinaire. Et bien que la boîte crânienne de Miller soit des plus communes, ce jour n'en était pas moins historique. En somme, la matinée avait été riche en émotions.
Une heure plus tard, il était face au crane dénudé de la jeune fille, scalpel à la main. Les choses sérieuses pouvaient commencer.
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2004
Il fallut à peine quelques secondes à Émilie pour réaliser qu'elle avait été changée de chambre. Son premier réflexe fut d'appeler un médecin, lequel débarqua une demi minute plus tard. Émilie se réjouit de ne pas voir le docteur Hope, qu'elle détestait toujours aussi profondément.
— Pourquoi m'a-t-on déplacée ? J'ai fait un malaise ? Un arrêt cardiaque ? Une apnée du sommeil ?
— Tu es réveillée ! J'appelle ta maman ! Elle est à la cafétéria, je pense, elle ne devrait pas tarder, s'enjoua le jeune interne.
« Docteur Ryner ! La petite Yorkers s'est réveillée ! » s'égosilla-t-il ensuite à travers le couloir.
Yorkers ? Sa mère à la cafétéria ? Serait-il possible que son identité ait été échangée avec celle d'une autre patiente ? Pourtant, depuis le temps qu'elle vivait ici, elle connaissait tout le personnel, et réciproquement. Peut-être était-ce justement ce nouvel interne qui avait commis une erreur. Elle le lui aurait volontiers expliqué, s'il n'avait pas filé aussi vite. A présent, elle craignait qu'il n'ait des ennuis, si le chef de service venait à l'apprendre.
Moins de cinq minutes plus tard, Anna Yorkers débarqua dans la pièce, les cheveux noués en un chignon si décoiffé qu'il eut été ardu de décider s'il méritait encore l'appellation de « chignon ». Un mélange d'angoisse et de soulagement se mêlaient sur son visage.
— Sophie ! S'exclama-t-elle. J'ai eu si peur.
Sophie ? Comme la jeune fille de son rêve ? Elle se pinça, mais elle était bien éveillée. Du reste, elle avait toujours trouvé ce geste ridicule et inutile. Mentalement, elle se reprocha son manque d'originalité, tout en se faisant la réflexion qu'elle devrait revoir l'ordre de ses priorités, car elle avait plus urgent à penser.
— Je... commença-t-elle, avant de s'interrompre brusquement.
Alors qu'elle était sur le point de décliner son identité, un frisson lui parcourut la nuque. Ce n'était pas prudent. Charlie lui avait clairement recommandé de se taire et de jouer le jeu, quoi qu'il arrive. Alors, elle garda le silence, soudain paralysée par la peur.
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L'homme en gris
Science Fiction"C'était logique, mathématique, cartésien. Mais la vie n'est pas logique. Dénuée de tout fil conducteur, la vie s'écoule, à l'aveuglette. La vie blesse, la vie donne, la vie trompe, vole, s'évapore, arrache et punit. La vie se joue de nous tous sans...