2114Le premier jour de travail de Charlie ne fut pas de tout repos. Levé à six heures, opérationnel à sept et sur place à huit, il retrouva à l'entrée Miller en personne qui lui indiqua son bureau et la tâche qu'il aurait à accomplir au cours des prochaines heures. Charlie acquiesça sans le contredire, bien que selon lui, la tâche en question soit ridiculement inférieure par rapport compétences qu'il avait acquises au cours de sa longue existence. Il avait réalisé l'erreur qu'il avait commise au cours de ses deux premières rencontres avec Miller et s'était à présent fixé pour but de gagner sa confiance et de l'amadouer. Ainsi, peut-être pourrait-il acquérir une plus grande importance au sein de la société et lui révéler enfin ses véritables intentions.
En tant qu'assistant, Charlie partageait son bureau avec la ravissante secrétaire de Martin Miller. Cette dernière se faisait appeler Erica Clarks, était américaine, et portait d'épaisses lunettes à la monture psychédélique.
- Enchanté. s'exclama le beau Charlie.
La jeune femme leva à peine le nez de son écran. Au cours de sa vie, elle avait rencontré de nombreux hommes dans le genre de Charlie : blond, grand, sûr de lui. Il représentait l'archétype parfait du gamin privilégié à qui la vie avait toujours souri. Aussi, pour avoir elle-même transmis le dossier de Charlie à Miller, il ne lui avait pas échappé qu'il était loin d'être qualifié pour ce poste. Son CV semblait même à la limite du grotesque tant il était surchargé. Le dit Charlie prétendait parler pas moins d'une vingtaine de langues, mais n'avait pas le moindre diplôme scientifique valable. Et pourtant, Miller avait choisi de l'engager lui, plutôt qu'un autre, en dépit de son manque d'expérience. La belle Erica en avait déduit que son collègue avait été pistonné, pratique qui lui inspirait un profond dégoût.
Charlie n'insista pas, prit ses aises et se plongea dans ses registres de comptabilité, songeant que cette bonne femme semblait fort désagréable.
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Charlie étudiait avec attention les derniers articles de presse parus sur Miller lorsque ce dernier poussa brutalement la porte de son bureau, le front en sueur. Essoufflé, il l'invita à le rejoindre dans les caves cinq minutes plus tard, soit le temps nécessaire pour s'y rendre. Il repartit ensuite aussi vite qu'il était venu, sans cérémonie aucune.
Etonné par la hâte de son supérieur, Charlie s'empressa d'éteindre son ordinateur et se mit en marche. Cela faisait alors six mois qu'il travaillait au service de Miller. Il était parvenu à aborder le sujet de sa petite sœur dans les premières semaines, et Miller n'avait pas semblé contre cette idée. Au contraire, convaincu du bien-fondé de son projet, il avait proposé d'accélérer la procédure. Il souhaitait en effet sincèrement qu'un maximum de personnes jouissent des avantages de l'opération qu'il avait mise au point.
Impatient de découvrir de quoi il en retournait, Charlie se précipita à la suite de Miller, qu'il parvint à rattraper avant que la porte de l'ascenseur ne se referme.
- De quoi vouliez-vous me parler ? demanda de but en blanc Charlie.
- Pas ici. En bas, c'est plus sûr.
Charlie opina du chef. Il faisait confiance à Miller. Au fil du temps, il avait appris à mettre de côté ses réticences à son égard, lesquelles avaient cédé la place à une admiration sans bornes. Miller était effectivement doté d'un incroyable pouvoir de persuasion. Il lui suffisait, pour rallier à sa cause son interlocuteur, de le fixer droit dans les yeux et de lui parler avec passion de ce en quoi il croyait. La vie, la mort, leur fin prochaine et la rédemption. Son secret, c'était d'y croire lui-même. Dans une autre vie, il aurait pu être gourou d'une secte. Et peut-être que c'était ce qu'il était devenu, au fond.

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L'homme en gris
Fiksi Ilmiah"C'était logique, mathématique, cartésien. Mais la vie n'est pas logique. Dénuée de tout fil conducteur, la vie s'écoule, à l'aveuglette. La vie blesse, la vie donne, la vie trompe, vole, s'évapore, arrache et punit. La vie se joue de nous tous sans...