Chapitre 9

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2014

Martin Miller donc – que nous appellerons désormais ainsi - et Jerry Ryner, par une après-midi d'octobre, mirent à exécution leur plan. Ryner vola une ambulance à l'hôpital où il exerçait, puis passa chercher Miller à son appartement. Ils revêtirent ensuite des tenues de circonstance et entourèrent leurs cous de stéthoscopes flambant neufs. Elle n'y verrait que du feu.

Le jeudi après-midi Sophie terminait une heure plus tôt que Jenny. Elle reprenait de ce fait la route seule, profitant de cet instant de solitude pour remettre ses idées en place. Elle aimait de tout son cœur Jenny, mais ses vieilles habitudes avaient la dent dure, si bien que le vieil ours taciturne qu'elle avait été avait parfois besoin d'un peu d'espace, loin de son amie et de ses hurlements hystériques.

Elle jouissait secrètement de ce moment privilégié, en tête à tête avec elle-même, lorsqu'une ambulance s'arrêta à sa hauteur. L'un des ambulanciers baissa la vitre de sa portière et lui demanda des indications quant au chemin à prendre. Ne se méfiant pas une seconde, Sophie s'approcha du véhicule pour s'excuser de ne pas pouvoir répondre : elle venait d'arriver en ville.

Brusquement, l'ambulancier la saisit par le col et la précipita vers l'arrière de la camionnette. La jeune fille se mit à hurler, ce qui n'inquiéta pas les deux hommes outre mesure. Ils avaient choisi d'interpeller Sophie alors qu'ils valdinguaient sur une petite route de campagne, au beau milieu de nulle part. Cependant, par acquis de conscience, Miller intervint, posant un mouchoir imbibé de chloroforme sur le nez de la belle ingénue. En moins de deux secondes, elle était endormie, le corps et l'âme docile, à la merci de ses agresseurs.

Si par cas, vous avez un jour vécu l'expérience d'une anesthésie générale, peut-être pourrez-vous comprendre, du moins en partie, ce que ressentit Sophie lorsque Ryner lui plaqua son mouchoir sur la figure. Déterminée à rester consciente, elle lutta contre le sommeil. Mais le corps a ses limites auxquelles l'âme ne peut déroger, si bien qu'en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle fut plongée dans un profond sommeil.

Sophie fut alors projetée au milieu d'une forêt verdoyante. Terrifiée par les récents événements, elle ne chercha pas à comprendre et courut aussi vite que possible à travers les bois, s'éraflant au passage. Elle n'était en effet plus vêtue que d'une petite robe d'été, laissant ses bras à découvert.

A bout de souffle, Sophie arrêta sa course une dizaine de minutes plus tard. Elle se trouvait alors dans une magnifique clairière, parsemée de fleurs multicolores. Et bien qu'il soit 17h, le soleil était à son zénith.

Elle comprit qu'elle avait de nouveau basculé dans le monde des songes. Autrement dit, sa fuite avait été vaine et elle était plus en danger que jamais. Il fallait qu'elle se réveille, vite, avant que ces deux malfrats ne s'en prennent à elle.

Et soudain, entre deux saules, Émilie, vêtue d'une robe blanche à la romaine, ses cheveux châtain clairs virevoltant au gré du vent, fit son apparition. Plus elle se rapprochait, plus elle semblait jeune, avec ses petites tâches de rousseur parsemant son visage et ses lunettes arrondies posées sur son nez.

Alors qu'elle ouvrait la bouche pour lui demander qui elle était, Sophie réalisa qu'elle avait totalement perdu le contrôle de ses actes. De même que la nuit où Charlie lui était apparu pour la première fois, ses gestes dépendaient à présent de son inconscient.

Émilie, un peu intimidée, se rapprocha de Sophie, assise dans l'herbe. Elles se regardèrent quelques secondes sans rien dire, puis Émilie s'assit à ses côtés. Ensemble, elles contemplèrent l'horizon. Elles se trouvaient en effet au sommet d'une colline, d'où elles pouvaient admirer la forêt toute entière.

L'homme en grisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant