2014
Emilie n'avait croisé ce regard qu'une seule fois et pourtant, elle le reconnut instantanément. Oiseau de mauvais augure, il avait annoncé à sa famille la pire nouvelle dont on puisse aviser de jeunes parents. Pour elle, cette scène s'était déroulée quelques semaines plus tôt. Pour Anna, cela remontait à dix ans.
— Je vous en prie, entrez ! Ne restez pas sous la pluie, l'invita Hildegarde.
Reconnaissant l'homme qui avait, des années auparavant, bouleversé sa vie, Anna descendit les marches quatre à quatre pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas. Après tout ce temps, pourquoi était-il revenu ?
— Docteur Mac Queurty ? Est-ce bien vous ?
— C'est moi, Madame Yorkers. Désolé de faire irruption sans prévenir. Les événements m'ont pris de cours.
— Vous avez du culot de revenir ici.
Anna avait beau savoir que son fils était décédé dans un accident de voiture, elle avait toujours ressenti à l'égard de ses médecins une grande colère. D'abord, parce qu'ils n'étaient pas parvenus à sauver son fils de ses blessures. Ensuite, à cause du comportement de Mac Queurty, ce soir-là. Après l'incident de la chute dans les escaliers, Anna avait cherché à le joindre, intriguée par sa réaction. Son instinct maternel lui indiquait de creuser plus loin, ce que son mari jugeait insensé. Et pourtant, elle demeurait persuadée que, derrière cette fuite grossière, se cachait un terrible secret. Ryner la croyait, lui. Il disait vouloir l'aider dans son enquête et il l'avait fait. Avec le recul, il apparut qu'elle s'était trompée de poison.
— Je me rends bien compte que cela semble incongru, mais je n'ai pas beaucoup de temps. Deux hommes très dangereux sont sur le point de débarquer ici. J'ignore quels sont leurs plans mais je sais que leurs intentions sont mauvaises.
— Vous êtes venus ici pour me chasser de chez moi ? s'exaspéra la mère éplorée.
— Anna, je vous demande de me croire. Faites-moi confiance.
— Et en quel honneur ?
— L'un de ces hommes s'appelle Jerry Ryner.
Son visage changea de couleur, ses membres se raidirent, ses yeux se voilèrent. Elle savait de quoi Ryner était capable.
— Montez dans ma voiture, je vous expliquerais tout en chemin, conclut Miller.
Sur ce, il se retourna et s'engagea à travers l'allée des Yorkers, suivi de quatre silhouettes que, longtemps, il avait tenu pour ses marionnettes.
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Un quart d'heure plus tard, la fine équipée se trouvait assise sur des canapés crasseux, entassés au centre de l'appartement que louait Miller. Tandis qu'il s'affairait à la cuisine, les quatre (plus ou moins) jeunes femmes contemplaient, médusées, les murs de la pièce. Ceux-ci étaient intégralement recouverts de photos d'elles, mais également de clichés plus anciens, portraitisant de belles adolescentes dans la fleur de l'âge. Certaines de ces photos étaient épinglées directement sur le plâtre – adieu la garantie locative – d'autres sur d'immenses tableaux de liège. Nombre d'entre elles étaient reliées par des fils de différentes couleurs.
Anna se demandait pourquoi elle avait accepté de suivre cet énergumène lorsqu'il refit surface, plusieurs verres de thé glacé fixés entre ses doigts.
— Ça doit vous sembler un peu bizarre, constata-t-il, désignant d'un geste du menton sa surprenante décoration.
— Sans blague ! ironisa Hildegarde, hilare.

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L'homme en gris
Ciencia Ficción"C'était logique, mathématique, cartésien. Mais la vie n'est pas logique. Dénuée de tout fil conducteur, la vie s'écoule, à l'aveuglette. La vie blesse, la vie donne, la vie trompe, vole, s'évapore, arrache et punit. La vie se joue de nous tous sans...