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Sophie, alitée, somnolait depuis maintenant deux jours. Ses activités se résumaient à manger, boire, se traîner jusqu'aux latrines et interroger Mac Queurty sur leur situation. Elle fut consternée de découvrir qu'en dix ans d'emprisonnement, le vieil homme n'en avait pas davantage appris qu'elle en deux jours. Cela n'augurait rien de bon pour la suite...
Un soir, alors qu'ils dégustaient une des bouillies informes stockées dans la réserve, Sophie demanda à John de lui en dire plus à propos de lui.
— Si nous sommes condamnés à vivre ensemble ici encore quelques années, j'aimerais apprendre à vous connaître. Dites-moi qui vous êtes.
— Tu es bien curieuse pour une fillette de ton âge.
— Disons que j'ai besoin de distraction. Et j'ai quinze ans, au fait, je ne suis plus une fillette.
— Si tu le dis, répondit-il, un sourire en coin.
Ils se connaissaient depuis peu de temps mais il aimait déjà beaucoup Sophie, sa vivacité d'esprit, sa ténacité et sa force de caractère, qui contrastait avec sa santé déclinante. Il espérait pouvoir la remettre sur pied d'ici quelques jours grâce aux machines qu'il avait ramenées de la ville : des purificateurs d'air très performants, ramassés dans les décombres de l'hôpital. Malheureusement, vu l'état de ses poumons, elle ne pourrait certainement plus jamais remettre le nez dehors, ce qui eut été plus dramatique s'il y avait eu quoi que ce soit à contempler à l'extérieur. Mac Queurty ignorait ce qui avait provoqué un tel cataclysme, mais une chose était sure : le monde ne serait plus jamais le même.
— S'il vous plait, supplia Sophie, offrant à son sauveur son plus beau regard de chien battu.
— Entendu.
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1971
A l'âge de 18 ans, le jeune Mac Queurty avait quitté le domicile familial pour s'installer à proximité du campus d'Oxford, où il avait entrepris des études de médecine. D'origine écossaise, lui et sa famille habitaient une coquette maison d'Édimbourg. Les adieux n'avaient pas été évidents, en particulier avec sa mère, qui l'avait toujours couvé. Son père, en revanche, avait toujours maintenu entre eux une certaine distance, si bien que le jour du départ, leur au revoir se limita à une franche poignée de main.
— James ! Tu vas dire au revoir à ton fils dans les formes et plus vite que ça ! avait tempêté la vigoureuse Cassandre.
Obéissants, père et fils tentèrent une accolade aussi malhabile qu'inconfortable. Le geste contenta néanmoins la mère, qui afficha un sourire satisfait.
Quelques heures de train plus tard, John arrivait à destination : un splendide appartement qu'il partagerait avec deux étudiants anglais qui ne devraient pas tarder à arriver. Le loyer était exorbitant, mais il avait la chance d'être issu d'une famille assez aisée. Son père ne se lassait pas de conter à qui voulait bien l'entendre que son arrière-grand-père avait été lord du clan Anderson. « Si, si, je vous assure ! Et si ces imbéciles d'anglais n'avaient pas ravagé le pays, nous serions immensément riches, à l'heure actuelle ! » s'exclamait-il systématiquement en guise de conclusion. Ces étalages de noblesse avaient toujours mis son fils mal à l'aise, mais il aurait préféré mourir que d'en dire un mot au grand James Mac Queurty, héritier du lord Alexander Mac Queurty Anderson. Était-ce ce nationalisme anachronique poussé à l'extrême qui l'avait poussé à se retirer en terres ennemies ? Lui-même n'aurait pu le dire.
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L'homme en gris
Fiksi Ilmiah"C'était logique, mathématique, cartésien. Mais la vie n'est pas logique. Dénuée de tout fil conducteur, la vie s'écoule, à l'aveuglette. La vie blesse, la vie donne, la vie trompe, vole, s'évapore, arrache et punit. La vie se joue de nous tous sans...