𝟏 : Run Away

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Hyunjin
Je profitai de son absence pour m'éclipser furtivement.

J'avais progressivement commencé à me sentir mal mentalement. Ce que je dissimulais me rongeait à petit feu, m'oppressait dans un cocon d'affliction, me donnant ainsi une impression d'asphyxie. Tellement ça me pesait, je manquais d'air lorsque j'étais avec mes amis.

Alors dès qu'il avait eu le dos tourné, je m'étais tiré. Évidemment, il y aura des représailles, il allait probablement m'en vouloir à mort. Mais j'avais un terrible besoin de solitude, il me fallait du temps pour pouvoir me remettre les idées en place.

Sur le chemin, je me mis à songer à ce matin, lorsque j'avais encore menti à ma mère en prétendant avoir de l'inappétence, comme de nombreuses autres fois. C'était vrai qu'à cause de cela j'avais considérablement maigri, mais j'étais absolument incapable de rester en présence de ma mère. Le problème, c'était que j'avais honte, terriblement honte. Je ne me sentais pas digne d'être son fils.

Je ne l'aimais pas spécialement, même si elle était celle qui m'avait élevé. D'ailleurs, avant que je ne découvre que j'étais porteur du don, nous étions proches. Mais ce que je vivais dressait des barrières entre nous, et elle l'avait compris, c'est pourquoi elle n'essayait pas de nous rapprocher. Je lui en étais infiniment reconnaissant pour cela.

Ma mère était une femme forte. Bien que son mari l'ait abandonnée, qu'elle ait perdu sa mère, qu'elle n'ait plus aucun contact avec sa sœur, et que son fils soit presque un inconnu pour elle, je ne l'avais jamais entendue se plaindre ou pleurer une seule fois. Elle continuait de me répéter avec le sourire que tout finirait par s'arranger, même si nous étions en cruel manque d'argent.

Je n'étais pas comme elle. Je savais pertinemment que nous finirions par perdre notre résidence, et je l'acceptais avec une consternante résignation.

Le mauvais sort s'était constamment acharné sur ma personne. Jusqu'à mes dix ans, cela avait encore été supportable, car à cette époque, j'avais eu l'appui de ma grand-mère.

Ma grand-mère avait été la seule personne qui m'avait apporté le soutien dont j'avais désespérément eu besoin. Elle m'avait assisté lors de mes crises, et m'avais assuré que cela passerait bientôt.

Elle avait promis de m'aider.

Mais il y avait de cela huit ans, elle m'avait abandonné, moi, un gamin de dix ans beaucoup trop mature pour son âge et en proie aux pires tortures.

Pendant quatre longues années, j'avais tout tenté pour mettre fin à mes souffrances. Mais ce fut en vain.

Alors, à l'âge de quatorze ans, ne pouvant plus le supporter, j'avais fait une tentative de suicide.

Je l'avais déjà compris : la mort était mille fois moins douloureuse que ma malédiction.

Un certain Han Jisung m'avait retrouvé, ensanglanté, et avait immédiatement appelé les secours. Je ne savais toujours pas si je devais me sentir reconnaissant, ou au contraire, lui en vouloir de m'avoir sauvé. Quoi qu'il en soit, j'avais survécu, conservant tout de même de profondes cicatrices lacérant mes avant-bras.

Quand j'y posais le regard, cela me rappelait cruellement cet évènement, comme si je n'avais pas le droit de m'y soustraire.

C'était pendant mon séjour à l'hôpital que j'avais rencontré un gamin de mon âge du nom de Seungmin, ainsi que sa bande d'amis.

Jamais je n'aurais pensé que je les rejoindrais.

Pourtant, ce fut ce qui arriva.

Ils ne m'avaient jamais forcé de leur dévoiler la raison pour laquelle je m'étais retrouvé à l'hôpital. Ils avaient senti que j'avais besoin d'aide et ils m'avaient tendu la main, en m'offrant quelque chose dont j'étais en manque.

Leur amitié.

Et c'était uniquement cette profonde amitié qui avait réussi à me faire oublier ma malédiction.

C'était seulement grâce à eux si désormais, je me sentais bien dans ma peau.

Petit à petit, Seungmin était devenu mon meilleur ami, mon confident, celui en qui j'avais le plus confiance. Il était tout le temps à l'écoute, tout le temps compréhensif, il m'aimait tel que j'étais.

Je m'en voulais tellement de leur dissimuler mon anomalie. Mais je n'avais pas le choix, je ne pouvais pas me permettre de les perdre, et en outre, ma grand-mère m'avait fait promettre de ne rien dévoiler à personne. Il fallait que le don de la famille Hwang demeure un secret. Il ne devait pas tomber dans n'importe quelles mains, autrement nous serions gravement en danger.

Déjà que je faisais souffrir ma mère à cause de mon éloignement progressif, il était absolument hors de question qu'en plus sa vie soit menacée à cause de moi.

Alors même si je faisais entièrement confiance à mes amis, je ne voulais prendre aucun risque.

J'arrivai finalement à destination. Une vieille fabrique, abandonnée depuis longtemps. C'était mon repaire secret, je m'y rendais lorsque j'éprouvais le besoin de me canaliser, de m'isoler.

J'ouvris la porte et entrai dans le dédale, me dirigeant vers la seule salle étant utilisable. Je connaissais cet endroit comme ma poche, c'était impossible qu'on m'y retrouve.

Je déposai mon haut-parleur dans un coin de la pièce et allumai ma playlist en mode aléatoire. Il diffusa alors Run Away de TXT, ce qui correspondait étrangement bien à ma situation.

Un sourire amer naquit sur mes lèvres gercées. Le hasard jouait avec les hommes comme avec des jouets, et cela d'une façon si dérisoire et pateline que c'en était écœurant.

Mais je ne pouvais pas lui donner tort, je fuyais pour éviter mes problèmes. La fuite avait toujours été mon unique porte de sortie, ainsi que la danse.

Danser était ma passion. Cela me permettait d'oublier, de me sentir bien l'espace de quelques heures. Après ça, lorsque je devais rentrer, alors que je cessais de danser, la réalité se présentait violemment à moi, me donnant envie de laisser mon esprit s'évader à nouveau.

Mais je ne pouvais pas me le permettre. Je devais affronter la réalité des choses.

Je devais me résigner à accepter ce que j'étais :

Un monstre, une anomalie, un être destiné à souffrir éternellement.

J'étais trop différent. Trop insolite. J'étais condamné à supporter une douleur que personne ne pouvait comprendre.

Être pourvu de pouvoirs avait un prix beaucoup trop élevé. J'ignorais si je parviendrais à le supporter encore longtemps.

Je me rappelais de ce jour-là, lorsque j'avais surpris une conversation entre ma mère et ma grand-mère.

« Hyunjin n'aurait pas dû hériter du don. C'est une erreur. »

Une erreur.

J'étais une erreur. Je n'avais pas lieu d'être, pas lieu d'exister.

Je secouai la tête, essayant de me concentrer sur la musique.

Je n'aimais pas vraiment apprendre des chorégraphies par cœur, mais parfois, je m'y obligeais, pour me faire songer à autre chose. Je préférais me laisser guider par la mélodie de la chanson, ce que je fis une fois encore.

Je voulais juste échapper à la cruelle vérité.

Je me mis en mouvement.

Et bientôt, je fus en complète harmonie avec la musique.

Insondables | ˢᵗʳᵃʸ ᵏⁱᵈˢOù les histoires vivent. Découvrez maintenant