Jisung
— Debout sales mioches ! tonna la surveillante en claquant violemment la porte du dortoir.Tous se réveillèrent dans de brusques tressaillements, tout en grommelant leur mécontentement d'avoir été tirés du lit à une heure si matinale. Malgré tout, par crainte de recevoir de sévères remontrances, ils se levèrent aussitôt.
Je poussai un profond soupir en les voyant se précipiter dans la salle de bain. Je venais de passer une énième nuit blanche. Cela faisait déjà deux ans que cela arrivait récurremment, tellement que c'en était devenu une habitude. Je dormais si peu que je pouvais compter sur les doigts de la main les quelques heures de sommeil que je parvenais à grappiller chaque semaine.
Cette nuit-là, je n'avais fait que me morfondre dans mon lit, remuant d'anciens souvenirs qui gisaient au fond de ma conscience. J'avais compté chaque seconde, désirant que l'horloge sonne les six heures avec une impatience excessive.
J'étais déjà prêt, lavé, et changé depuis quatre heures du matin, et je n'avais attendu que le signal de la contrôleuse pour me diriger hâtivement vers le réfectoire pour prendre mon petit-déjeuner. Tôt, afin d'être seul.
Je mangeai avec précipitation quelques fruits et bus un verre de jus d'orange, avant de quitter la pièce en voyant les plus rapides y faire irruption à leur tour. Je les entendis s'égosiller, me conjurant de revenir, mais, comme j'en avais coutume, je les ignorai royalement.
En passant devant la psyché du hall principal, j'analysai rapidement mon reflet dépravé. Ma peau affreusement blafarde semblait avoir blêmi davantage depuis que je souffrais d'insomnies. D'éternels cernes se déployaient sous mes yeux harassés et inexpressifs, ces prunelles étranges qui m'horripilaient, que je haïssais du plus profond de mes entrailles. Ma chevelure de jais était toujours aussi rebelle, quelques mèches plus épaisses fusaient de sous mon bob malgré tous mes efforts pour les dompter.
Il y avait quelques jours de cela, j'avais eu un besoin fondamental de changement, c'est pourquoi elles arboraient désormais une légère teinte violine, donnant ainsi une touche de couleur dans ma tenue d'un noir d'encre.
Je me dirigeai vers la porte de sortie et enfilai mes chaussures sous le regard sceptique d'une surveillante. C'était forcément une nouvelle. Bien que je ne fasse jamais attention aux personnes qui travaillaient dans cet orphelinat, son expression incrédule voulait tout dire.
— Tu ne restes pas avec les autres ? s'enquit-elle dubitativement.
Je ne lui adressai même pas un seul regard. J'ouvris la porte, pénétrai à l'extérieur et la lui claquai au nez.
Ses collègues lui apprendront bien assez tôt la raison pour laquelle il valait mieux que je reste isolé, ce n'était pas la peine que je m'en mêle.
Je pris la direction du lycée. L'orphelinat ne comptant qu'une école primaire, les plus âgés devaient se rendre dans un établissement scolaire public. Mais au fond, c'était probablement mieux ainsi. Le pire était sans doute de rester enfermé dans ce bâtiment oppressant, entouré d'enfants chahuteurs et de leur brouhaha sempiternel.
Je gardai mon regard rivé vers le sol. C'était ma règle : ne jamais lever les yeux, ne jamais dévisager quelqu'un. Ainsi, nul ne pouvait voir mes prunelles si insolites, et j'évitais habilement de devoir converser. Je fuyais le contact avec les gens, je m'excluais de la société.
Cela semait une souffrance sourde au fond de moi, mais je n'avais pas le choix. Cela valait mieux pour tout le monde, car j'assurais ainsi, sans que personne ne le sache, la sécurité de tous.
Je parvins à l'école avec deux heures d'avance, comme de coutume. Je m'installai sur un muret de pierre, insérai mes écouteurs dans mes oreilles, et lançai ma playlist. De mon sac à dos, je sortis mon précieux carnet à la couverture entièrement de couleur onyx, ainsi qu'un stylo à l'encre bleutée.
Je laissai alors mon esprit s'évader, et me mis à écrire.
Mes seules passions étaient le rap, le chant et écrire des chansons. C'était comme cela que j'occupais généralement mes journées, ainsi que mes nuits, lorsque je ne parvenais pas à dormir.
Tout me venait instinctivement, il me suffisait de formuler un thème, et les mots apparaissaient d'eux-mêmes sur le papier au fur et à mesure que les idées fusaient de ma conscience. Lorsque je parvenais à m'isoler, je rappais et chantais ce que je venais de créer. Je rêvais de pouvoir m'enregistrer, mais je n'avais malheureusement pas le matériel à disposition.
Mon unique motivation dans la vie était de pouvoir un jour devenir compositeur. Je persévérais à l'école et dans mes études dans l'unique but de réaliser mon rêve. Sans cela, j'aurais arrêté de me rendre au lycée depuis longtemps.
Sans cela, je resterais probablement calfeutré dans le dortoir de l'orphelinat et me laisserais mourir d'éreintement.
Les enseignants connaissaient la raison pour laquelle j'avais quitté la Malaisie pour revenir dans mon pays natal, la Corée du Sud, et cela m'irritait profondément. Ils me craignaient pour cela, et en vérité, je ne parvenais pas à leur en vouloir. Leur réaction était parfaitement compréhensible. Quiconque possédant un semblant de jugeote serait effrayé par ma personne, ferait attention de ne pas me froisser, m'éviterait carrément.
Pourquoi j'agréais avec ce genre de réaction ? C'était simple.
Moi-même je me craignais.
Depuis ce jour-là, où j'avais commis cet acte des plus atroces, je m'étais promis de ne plus jamais me lier aux gens. J'avais beaucoup trop peur pour cela.
J'étais terrifié à l'idée de blesser quelqu'un d'autre.
À l'idée de recommencer.
Soudain, une voiture s'arrêta devant le portail du lycée, et un vieil homme en émergea. Il s'approcha de moi, et je reconnus directement le directeur, avec sa mâchoire particulièrement carrée, ses larges épaules et ses célèbres rouflaquettes s'étendant jusqu'à ses tempes.
J'ôtai mes écouteurs et cachai rapidement mon carnet.
— Puis-je m'entretenir avec toi ? s'enquit-il gentiment, un sourire bienveillant sur les lèvres.
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Insondables | ˢᵗʳᵃʸ ᵏⁱᵈˢ
Hayran KurguLes apparences pouvaient se révéler spécieuses, car ces neuf adolescents dissimulaient bien plus qu'il n'y paraissait de prime abord. Tandis que certains cachaient des dons hors du commun, d'autres étaient emportés par les flots tumultueux de leurs...