Chapitre 16

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Irène ne respirait peut-être plus, elle était peut-être morte présentement, mais son esprit s'animait bel et bien dans un endroit craint de tous, les Enfers. Plusieurs couches épaisses de brumes et de flammes, une chaleur étouffante, des hurlements de pécheurs, des supplications, parfois des sons distincts de fouets ou d'ordres impitoyables, et des milliers de démons. Ces créatures prenaient la forme d'une nébuleuse sombre, qui bougeait frénétiquement dans tous les sens. Ils gardaient les portes de l'au-delà et celles du Tout-puissant.

A son dernier souffle, Irène atterrit en bas des Enfers, là où chaque âme maudite ou les âmes du Monde Obscur arrivaient, et elle dut gravir tous les obstacles, se frayer un chemin parmi les condamnés, ignorer les menaces des démons, et oublier la douloureuse température. Elle transpirait à grosses goûtes et respirait bruyamment, s'épuisant au fil des minutes. Elle devinait que sa mère n'avait pas effectué ce dur trajet. En réalité, ceci devait être une épreuve pour prouver les paroles prononcées lors du sortilège qui la mena ici. Le Tout-puissant n'offrait cette chance équivoque qu'à ceux qui le valaient. Et elle ne parvint à atteindre le sommet et le portail démoniaque qu'après de longues journées exténuantes.

- Irène Horline ! se présenta-t-elle aux gardes - des démons ayant pris l'apparence de colosse armé jusqu'aux dents -, le souffle court, un poing de côté et un embarras monstrueux de se retrouver dans cet état de fatigue extrême. Je suis attendue ! Alors, ce serait fortement apprécié que vous ouvriez ces portes. Cordialement.

Bien sûr, même si ces démons souhaitaient lui faire regretter son impertinence, ils obéirent aux commandements muets de leur maître suprême. Ils l'autorisèrent donc à entrer et elle s'exécuta vivement avant qu'ils ne changent d'avis. De ses plus grands pas prompts, Irène perça le mystère de l'Enfer et constata ce décor angoissant. Quoi que... Probablement pas autant angoissant qu'elle le présageait. En fait, il s'agissait d'un salon. Une cheminée immense et duquel un feu ardent répandait sa chaleur oppressante, et plusieurs canapés, une table basse au centre, des colonnes où étaient gravées des inscriptions semblables à celles figurant dans le Daemonica. Le Diable recréait un environ d'être vivant, lorsqu'il recevait des invités. Autrement, il ne se servait pas de ces sofas et ne buvait pas les boissons offertes à la noiraude.

- Vous étiez vraisemblablement très attendue, et pas seulement de moi. Tous mes fils et mes filles espéraient vous rencontrer un jour ! confirma une voix, sortie de nulle part. Nulle part ? répéta la voix soudainement. Ne qualifiez pas de 'nulle part' quelque chose que vous ne voyiez pas de vos propres yeux faibles. Je me situe dans un lieu bien réel, mais pas réel pour vous, uniquement de mon point de vue. Ma réalité n'est pas la vôtre. La Terre est réelle selon votre jugement d'Immortelle, mais elle n'est qu'une illusion. Une localisation incertaine où mes enfants se vouent à passer leur vie d'êtres constitués de chair et de sang. 

Le Tout-puissant. Et il lisait aussi dans les pensées, comme ses démons. Irène soupira et se força à peu penser, ou à des futilités. Un rire tonitruant retentit, puis une invitation. Le Diable lui indiqua de s'assoir et de se rassasier après son long périple. D'abord réticente, Irène avait parfaitement conscience de sa position ; elle ne pouvait pas refuser, au risque de le froisser. Alors, elle se dirigea fièrement vers les rafraichissements et n'hésita pas une seconde pour en boire d'une traite, assoiffée. Elle ressentit le goût du sang et remercia mentalement son hôte.

- Il semblerait que votre venue ait été anticipée le plus par un de mes serviteurs en particulier. Veuillez, je vous en prie, le saluer convenablement.

La vampire chercha dans la vaste salle sans début, ni fin, mais ne perçut aucune personne physique. Elle crut en premier lieu que ce serviteur était dans une autre réalité, tel que le Tout-puissant, mais son regard s'arrêta sur une créature. Elle se questionna. Ses yeux pourtant bien écarquillés, elle ne rêvait pas. Irène se tenait face à face avec Cerbère. Elle déglutit difficilement. Contrairement à toutes ses descriptions, Cerbère se montrait très différent. Loin de la disgrâce, ou du corps de chien, il ressemblait davantage à un gigantesque loup à trois têtes, noble et digne, élégant, voire sophistiqué. Elle croisa l'une des paires d'yeux et tiqua. Ses iris lui rappelaient ceux de...

- Oui ! s'éleva la voix, cette fois-ci, d'une femme. C'est bien moi. Je suis plus que ravie de vous revoir. Il me tardait de pouvoir à nouveau contempler cette noirceur immaculée qui émane de votre aura puissante, jeune Horline.

- Infantatë, murmura l'interpellée, du mal à le concevoir. C'est donc en Enfer que vous disparaissez, vous les démons, quand vos possesseurs terriens meurent ou vous libèrent. J'avoue que je n'aurais jamais parié sur nos retrouvailles. Chose.

Une des trois têtes parut sourire, ce qui fit grimacer la vampire de dégoût. Infantatë se moqua allégrement de sa mine écœurée et ne s'en formalisa pas. Des siècles auparavant, elle avait côtoyé la noiraude et l'avait presque tuée. Elle priait par cette rencontre. Et elle n'était pas la seule. Ses deux compères également. D'ailleurs, afin qu'Irène en apprenne plus sur Cerbère, celui-ci décida de se séparer et de reprendre trois corps différents. Contre toute attente, l'Immortelle reconnut les trois, et non pas que celui de la chose. Une femme à l'allure perse, et deux hommes qu'elle identifiait très bien. Même si ce n'était que des apparences d'emprunt, elle jurerait les connaître tous les trois. Et elle soupira à cette constatation.

- Oui, depuis toutes ces années, vous avez fréquenté de près ou de loin Cerbère. Quel effet cela engendre-t-il sur un esprit d'être vivant ? questionna Infantatë, la tête penchée sur le côté. J'en suis curieuse !

- J'ai envie de vomir, rétorqua abruptement Irène.

- Ceci est dû à la chaleur ! contredit la chose, et se tourna ensuite vers les autres Cerbère. Je vous avais prévenues, votre mère et vous, que j'étais un démon de classe supérieure. Et il n'y a que nous qui nous qualifions de la sorte, sachez-le ! Vous avez déjà eu l'occasion de les approcher, mais laissez-moi vous introduire mes deux compagnons. Mahoth et Bhaio.

Ces derniers s'inclinèrent d'un respect inouï devant la vampire dont les orbes se chargèrent de foudres. Évidemment qu'elle les connaissait, puisqu'ils avaient appartenu à la Trinité, à l'époque où sa sœur fut assassinée. Mahoth et Bhaio, les deux démons qu'elle avait délivrés de l'emprise de Mélissandre et qu'elle avait refusé de posséder. Irène roula des yeux, mais les salua tout de même d'un bref hochement de tête. Brutalement, le rire tonitruant de tantôt résonna derechef.

- Aucun de vous trois ne mentait ! concéda le Tout-puissant. Cette enfant détient un caractère hors norme. Elle me plaît ! Et puisque vous venez me revendiquer un bien précieux, je vous le procurerai gracieusement. Cordélia m'exigea un démon, Mélissandre deux démons. Ces deux ingrates, que je m'amuserais à maudire pour l'éternité, ne méritaient aucunement mes dons. Car elles restaient mes filles, je le leur ai octroyées, mais je désire vous fournir plus. Un ou deux membres de Cerbère ne se révèlent pas aussi puissants qu'au complet. Aujourd'hui, et remémore-toi ce moment à jamais, je vous munis, mon Irène Horline, la Paix, la Guerre et la Désolation, de Cerbère. Autrement dit, vous posséderez jusqu'à votre quête accomplie Mahoth, Bhaio et Infantatë, mes plus fidèles et féroces serviteurs... Au plaisir de vous revoir, jeune Horline.

L'Insurrection [En correction/PAUSE !!]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant