11.1. Noël aux Tuileries - suite

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Le soir de Noël, la fête bat son plein aux Tuileries, et les ragots fusent. Touché malgré lui par une Anne délaissée, Aaron l'invite à danser au vu et au su de tous. C'était sans compter l'incendie du Luxembourg, provoqué par les complots du jeune homme. 

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Surpris par la garde impériale qui rôdait tout autour du Sénat, Gustave n'avait pas eu le temps d'allumer les quatre feux prévus. Aussi l'incendie fut-il facile à contenir, et le palais du Luxembourg impavide en fut quitte pour quelques mois de travaux. Gustave fut arrêté, et disparut aussitôt de la circulation. Aaron tempêta pendant plusieurs jours, puis jura de tuer Napoléon III de sa main. Du fond de sa mansarde de Montmartre, les feux insolents des Tuileries, qu'il imaginait sans les voir, paraissaient le narguer ; il en frémissait de rage. Il déserta le palais, au grand dam d'Anne qui n'osait pas songer aux répercussions de son acte. Elle avait noté avec un frisson d'appréhension le silence tonitruant de la chambre à côté de la sienne ; il était parti. Mais à part elle, personne ne semblait se préoccuper des allées et venues du jeune homme. Même le maréchal Niel quitta les Tuileries, sans que nul se s'en soucie. Napoléon III ordonna une enquête, le colonel Verly traîna sur tout un chacun son œil suspicieux, et la vie reprit peu à peu son cours. 

—   Je ne comprends pas comment ce criminel a réussi à s'introduire dans le Sénat, répéta Héloïse pour la centième fois de la matinée. Nous étions en promenade dans ces jardins la semaine dernière à peine.

Anne soupira. L'acte incendiaire de Gustave avait ébranlé la jeune femme plus qu'on n'aurait pu le croire ; depuis, elle ne cessait d'en parler, comme si le bandit était sur le point de surgir de l'endroit le plus incongru pour l'égorger. Elle-même avait feuilleté les journaux les plus importants pour essayer de trouver son nom, taraudée par le doute. Et son cœur s'était arrêté de battre lorsqu'elle avait lu en grosses lettres baveuses « Gustave Lemaitre coupable de crime contre l'Empire ». Ceci expliquait l'absence aussi longue d'Aaron.

—   Alors... reprit Héloïse avec sa mine de conspiratrice acharnée. A-t-il retrouvé le nom de votre mère ?

Elle savait tout de ses démêlées avec le passé silencieux, et Anne ne regrettait pas une seule seconde ses confidences. Sans son amie, elle se serait retrouvée bien seule à chaque fugue inopinée d'Aaron. Pourtant, à cette minute précise, elle aurait souhaité un peu de silence.

—   Clémence de Quatrebarbes, marmonna-t-elle, assise sans façon sur le coussiège de la fenêtre de sa chambre.

La bouche d'Héloïse formait un cercle parfait lorsqu'elle se retourna, et elle en pouffa presque.

—   Non...  Quatrebarbes ? Vous en êtes sûre ?

—   Si je me fie aux découvertes d'Aaron Niel, oui. Et je lui fais confiance ; il dénicherait une aiguille dans une botte de foin, même avec les yeux bandés.

—   Bien, bien... si vous le dites.

—   Que savez-vous d'eux ?

—   Oh, c'est une grande famille, l'une des plus anciennes de France. Elle prouva sa noblesse au XIIIe siècle, si je me souviens bien. L'un des plus éminents représentants est Théodore de Quatrebarbes. Il est gouverneur d'Ancône depuis presque dix ans, maintenant.

—   A-t-il eu une fille ? Quand est-il né ?

—   Je ne sais pas, avoua Héloïse, les lèvres pincées. Lui est né au début du siècle, comme ce fichu Victor Hugo. Ne froncez pas les sourcils, ma chère ; vous ne pouvez faire fi de ses attaques déplacées contre l'Empire, n'en déplaise votre amour pour sa plume.

Dans l'ombre du Second EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant