1867. Le Second Empire vit ses derniers instants.
Depuis l'exil de sa famille en Angleterre, Aaron s'est juré de rendre à la France sa liberté perdue. Napoléon III mourra de sa main, il se l'est juré.
Mais le farouche républicain ne pensait pas tom...
Minuit, l'heure du chapitre (me tuez pas ! Le 18.2. arrive juste après !), et bonne nuit aux lecteurs tardifs. Moi, je retourne à mon rêve de la nuit dernière avec Napoléon Bonaparte 🤗
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Le ciel se ligua tout entier pour séparer les deux jeunes gens le reste de la semaine. Du reste, Aaron évita avec soin de se retrouver seul avec la demoiselle d'honneur. Il avait besoin de silence et de solitude pour tenter de réfléchir. La révolte le prenait encore à certaines heures de la journée, et il enrageait, furieux contre lui-même, contre le monde entier.
Anne refusa de s'inquiéter des sautes d'humeurs du jeune homme qui rôdait loin de tous. Aaron avait bien trop de pouvoir sur elle, se morigénait-elle de temps à autre, alors qu'il passait devant elle sans jamais la regarder. Elle devait se ressaisir, se répétait-elle chaque soir, sous la couette douillette de sa jolie chambre, tandis que la pluie toquait à la fenêtre toutes les nuits. Du reste, l'emploi du temps du prince impérial était aussi fourni qu'aux Tuileries ; mais les mondanités avaient remplacé l'arithmétique, et l'absence du général Frossard n'était pas pour arranger les leçons de géographie. Elle-même devait bien avouer, avec beaucoup d'embarras, qu'elle avait oublié sans remords les affluents dès que son précepteur avait quitté l'Hôtel du Grand Commandement. Aussi acquiesçait-elle avec déférence chaque fois qu'Augustin Filon réprimandait Louis-Napoléon Bonaparte pour son ignorance. Mais les cavalcades du prince chaque après-midi, après sa revue militaire où il présentait son uniforme, rouge de fierté, effaçaient toute humeur chagrine, et la demoiselle d'honneur suivait d'un œil angoissé les sauts enragés de la monture bien trop vive sous la main impérieuse.
Le dernier soir fut l'occasion de rouvrir le Petit Théâtre Louis-Philippe. Sous le regard sévère de la duchesse Colonna-Walewski, les domestiques avaient dépoussiéré, frotté, balayé et ciré. Le large rideau cramoisi bordé d'or avait été brossé par deux bonnes dizaines de petites mains dévouées à l'Empire. Les invités s'étaient succédés sur la scène, chacun rivalisant d'imagination pour faire rire l'empereur. Sa femme était bon public, et souriait à chaque bon mot lancé de la scène briquée. Jaillissant de l'obscurité des fauteuils, elle étincelait de tous ses feux, cette petite scène au parquet lustré ; Théophile Gautier avait exécuté un numéro de jonglerie avec trois gros livres qu'Héloïse soupçonna d'être des œuvres de l'exilé de Guernesey. La troupe de la Porte Saint-Martin jouait une pièce de théâtre d'il y a deux ans ; le théâtre français, cette année, s'était montré fort peu prolifique, et peu d'œuvres avaient trouvé grâce aux yeux de l'empereur. Ah, l'on riait peut-être un peu devant Nos Bons Villageois, de ce Victorien Sardou ; mais cela ne valait pas un vaudeville bien ficelé, quoique l'on en trouvât de moins en moins désormais. Et puis, ce Victorien Sardou qui se moquait de tout un chacun ; il fallait le voir ricaner, un œil à demi-fermé et la bouche tordu, éclairé de-ci de-là par les lumières de la scène. Mais il fallait également voir la mine éblouie de madame de Saulcy, ou bien l'air renfrogné de la duchesse Colonna-Walewski. Anne décréta que la vieille chouette n'était jamais satisfaite de rien, et se renfonça dans son fauteuil. La pièce se terminait, et les acteurs demandaient des participants pour déclamer des vers de Racine. La marquise de La Tour-Maubourg, invitée par Viollet-le-Duc, se plia de bonne grâce à l'exercice, et monta sur scène ; les sanglots de Bérénice résonnèrent dans la pièce, et Anne eut brusquement la gorge serrée. La reine de Judée se trouvait devant eux. Un instant, elle savoura l'espèce de paix sereine qui était descendue sur le théâtre ; puis les vivats éclatèrent. L'empereur lui-même applaudit à tout rompre, et l'on passa aux tableaux vivants. Anne se détendit, et rit de bon cœur à Héloïse qui tentait de donner des ordres à Camille de Nompère de Champagny, Gustave Flaubert et Jacques Offenbach du ton le plus doucereux possible. A quelques pieds du quatuor, la baronne de Pierres, réquisitionnée elle aussi pour une parodie à venir, faisait les gros yeux, effarée de l'aisance avec laquelle Héloïse de Bellegarde apostrophait des hommes de trente ans ses aînés. Mais l'on oubliait l'étiquette, ici à Compiègne, pour savourer la présence des souverains, à deux pas de soi, et l'ambiance bonne enfant qui s'emparait de tout un chacun. Anne éclata de rire à une grimace particulièrement éloquente de M. Flaubert, et fut secouée de hoquets, bien vite imitée par Léopold, Albéric et Georges-Aymé. Les trois, assis sur la même rangée de fauteuils cramoisis, riaient aux éclats devant les mimiques exagérées de la jeune femme. Vraiment, quel clown que cette madame de Bellegarde, gloussa un courtisan dans l'ombre. Et Aaron, les bras croisés, adossé à la porte minuscule qui avait réussi à laisser passer la vingtaine de courtisans relégués au paradis, souriait, les yeux rivés sur la petite ombre joyeuse au milieu de la corbeille.
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