14.4. Un Cyrard effronté - Baiser volé

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Enfin, le jeune fut rompu et le Carême disparut avec les mauvais souvenirs. Les cloches de Pâques laissèrent tomber leurs morceaux de chocolat le douze avril et le petit prince en trouva le plus – aidé par l'obséquiosité d'une Cour prête à ramper pour une miette de faveur. Il fut félicité de tous et remercia chaque courtisan zélé avec son sérieux charmant. Le soleil brillait sur le jardin des Tuileries et réchauffait chaque parcelle de parterres ; les cœurs s'ouvrirent petit à petit, réconfortés par les rayons bienveillants. Le printemps faisait toujours des miracles. L'on se sentait heureux sans raison particulière, et le chocolat était une pommade plutôt efficace à passer sur les soucis. L'on n'aurait pas eu le cœur à grogner aujourd'hui.

—   Je n'en ai pas trouvé beaucoup, geignit Héloïse. Allez courir dans mon état.

Sans un mot, Albéric de Bellegarde versa tous ses œufs dans le panier de son épouse, et reçut un baiser en récompense. Appolonie-Valonette regarda le butin de son fiancé avec envie, mais l'officier refusa vivement. Il jouait pour gagner, rien d'autre.

—   Et vous, Anne ? Combien en avez-vous ?

—   Une petite dizaine, guère plus. Je n'ai pas eu l'intuition judicieuse.

—   Vous aurez plus de chance l'année prochaine, promit Héloïse.

Anne observa leur petit groupe. Ses deux amies étaient toutes deux accrochées à leurs promis respectifs. Sans aucun brin d'envie, son cœur commençait à soupirer, malgré elle. Son tour viendrait-il jamais ? Son esprit malicieux invoqua l'image d'Aaron et elle fronça les sourcils. Elle délirait sans avoir de fièvre.

—   Que complotez-vous tous ? s'enquit Léopold Niel avec un salut aimable pour chacun d'entre eux.

—   De la collecte d'œufs de Pâques. Anne n'en a pas eu beaucoup, susurra presque Héloïse.

Le sous-lieutenant avisa le pauvre panier peu rempli et, plongeant une main dans le sien, y déposa ses propres œufs quatre par quatre. Anne l'observa faire, abasourdie, imitée par les deux autres jeunes filles. Appolonie-Valonette bredouilla une protestation que Georges-Aymé s'empressa de bâillonner et Héloïse échangea un regard avec Albéric.

—   Vous n'en aurez pas autant que sa majesté le prince, déclara ensuite le jeune homme. Mais j'espère bien vous avoir aidé à battre le reste de l'équipe.

—   Mais... vous n'étiez pas obligé de...

—   Je n'aurais pu tous les manger.

Et pour cause. L'officier avait été particulièrement heureux cette année, et jusqu'alors, son panier croulait sous le poids du chocolat déniché dans les buissons du jardin. Anne tenta de compter le nombre d'œufs qu'elle venait d'obtenir, puis renonça.

—   Combien en avez-vous trouvé ? demanda Appolonie-Valonette pour elle.

—   Une bonne cinquantaine, si mes calculs sont bons.

—   Vous êtes doué, complimenta Héloïse.

—   La chance du débutant, ricana Georges-Aymé.

—   La chance due à ma taille, précisa Léopold. L'on pourrait presque me qualifier de tricheur.

—   Votre bonne action rachète l'inégalité des talents décidée par le bon Dieu, décréta Héloïse.

Et elle attrapa la taille de son mari pour clore la discussion. Le reste de la Cour remontait vers le palais pour une collation festive. Anne bredouilla un remerciement pour le sous-lieutenant et partit rejoindre le reste du groupe.

Dans l'ombre du Second EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant