22.3. Montmartre, la terrible - As-tu du cœur ?

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Après la mort de son père, Aaron s'est enfui à Montmartre, pour échapper à la culpabilité, au chagrin du deuil autant qu'à ses charges d'héritier. Le maréchal lui a en effet légué la majeure partie de ses biens, au détriment de Léopold. A Montmartre, Aaron s'est engagé comme charbonnier, pour oublier dans le labeur physique la peine qui le tourmentait. Louise Michel ne l'avait cependant pas oublié, ni pour les complots contre la famille impériale, ni pour ses propres intérêts. Anne les surprit au dernier chapitre, sur le point de s'embrasser, elle qui avait fait le chemin depuis les Tuileries, dans le plus grand secret, pour le retrouver après plus d'un mois d'absence. Aaron lui courut après dans les rues sinueuses de Montmartre, pour lui jurer que rien ne s'était passé entre lui et Louise.

Pardon pour l'absence de 2 ans, beaucoup beaucoup de problèmes, mais me revoilà ! :)

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— Ma chérie... je te jure qu'il n'y a que toi. Il n'y a plus jamais eu que toi.

Les paupières d'Anne frémirent ; elle releva les yeux, le dévora du regard. Sa prunelle était toujours traversée d'éclairs de chagrin, de douleur. Mais s'y mêlait une lueur d'espoir, et une étincelle d'amour dévorante. Il se pencha vers elle, assoiffée de son âme et, lentement, leurs lèvres se rejoignirent. Leurs bras se nouèrent, et leurs cœurs se rapprochèrent l'un de l'autre, seulement séparés par deux couches de vêtements. Au pied de la butte Montmartre, là où encore rien de beau n'existait, les escaliers accueillaient les amoureux désespérés, et les pauvres ailes abîmées protégeaient les retrouvailles des amants sans cesse séparés par plus grand qu'eux.

Aaron revint au palais dès le jour suivant. Chez lui, rue Saint-Dominique, nul ne lui fit un reproche ; sa mère ouvrit les bras sans mot dire, et le serra contre son cœur de longues minutes. Les larmes qui coulèrent le long de ses joues avant de se fondre dans le drapé de sa robe noire furent sa seule plainte silencieuse. Léopold ne croisa pas une seule fois le chemin de son frère, sûrement prévenu par un Georges-Aymé sans cesse au courant de tout. Mais Aaron ne dit rien, ne tenta aucun esclandre. Clémence Niel comprit bien vite en le voyant partir pour les Tuileries chaque matin, plus élégant que jamais. Pour satisfaire sa curiosité discrète, elle alla jusqu'à accepter une invitation à dîner de l'impératrice, et suivit tout du long de la soirée le regard de son fils adoptif, toujours accroché au groupe des demoiselles d'honneur. Dès lors, le même sourire étrange que celui de l'impératrice ne la quitta pas. Tout n'était donc pas perdu.

Bien loin des rouages féminins qui grincèrent dans l'esprit de son entourage, Aaron ne quitta pas Anne. Dès le jour de son retour, celle-ci ne put faire un pas sans sentir le souffle du jeune homme dans son cou. Du reste, elle ne s'en plaignit pas. Son cœur battit enfin à allure régulière, son sourire reparut pour de bon, son souffle se fit calme. Ils trouvèrent le moyen de se retrouver dehors, chaque fois que le prince impérial souhaitait une promenade loin des moiteurs du palais. Le jardin les vit aller et venir du même pas lent, pendant que Louis-Napoléon étrillait sa pauvre monture qu'il aimait pourtant de tout son cœur. Un après-midi sur trois, comme à son habitude, Anne s'éclipsait pour une sieste. Dans sa chambre, Aaron l'y attendait, allongé sur le petit lit toujours tiré à quatre épingles. Alors, avec un léger soupir de bien-être, Anne s'abandonnait dans ses bras. Le monde se serait écroulé au-dehors sans qu'elle ne se réveillât. Sous sa joue, le cœur du jeune homme battait à coups redoublés, toujours empressé ; son sang semblait rugir dans ses veines, furieux et bouillonnant. Dans ses cheveux, Aaron murmurait mille mots d'amour tendres, qu'il n'avait plus dits depuis des siècles, qu'il réapprenait à chuchoter. Alors Anne réapprenait à comprendre qu'il était revenu pour elle, sans complots, ni intrigues derrière. Une fin d'après-midi, tandis qu'Aaron somnolait encore après une après-midi sous les caresses du soleil, elle sentit sous sa tête un papier crisser. 

Dans l'ombre du Second EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant