La messe se finit dans un brouhaha respectueux, et l'on s'empressa de quitter la chapelle bien trop petite pour toute la Cour. Ceux qui étaient dans les tribunes du deuxième étage se dirigèrent d'un pas tranquille vers la galerie de Diane, où les domestiques allumaient les derniers candélabres, et les courtisans au cœur de la chapelle montèrent le grand escalier du rez-de-cour. En silence, Anne admira les moulures au plafond, les tapisseries des Gobelins, les consoles et les banquettes rouges. Les scènes mythologiques du plafond dataient de Louis XIV, lui avait soufflé Augustin Filon, l'universitaire chargé de l'instruction du petit prince. Il avait réussi à se retrouver à côté d'elle dès la fin de la messe, et lui souriait avec une courtoisie charmante. Elle lui adressa un signe de tête poli puis releva la tête et se perdit de nouveau dans la peinture de Lebrun. De l'ensemble des pièces du palais, la galerie de Diane était peut-être sa préférée. Les deux vases égyptiens qui trônaient aux deux extrémités de la pièce avaient été rapportés par Napoléon Bonaparte lui-même, murmurait-on dans les couloirs. Elle-même ne cherchait pas à démêler le vrai du faux dans toutes les histoires folles qui circulaient sur les Tuileries. Le palais en avait vu d'autres, et les pages de l'histoire de France s'étaient écrites ici, de Catherine de Médicis à Eugénie de Montijo. Pour cette fidélité au passé, elle ne l'en aimait que davantage. Ce qu'elle préférait de cette pièce, c'était les mille détails cachés dans les peintures du plafond que nul ne se souciait de découvrir.
— Mon chou, vous allez finir par attraper un torticolis.
Elle bénit le Ciel de ne pas avoir sursauté devant tous les courtisans qui se pressaient autour des immenses buffets qui croulaient sous la nourriture. L'empereur et sa femme avaient vu les choses en grand pour ce Noël-ci, et la petite provinciale qu'elle était s'ahurissait devant ce tableau digne des rêves les plus fous. Elle pivota, rencontra deux yeux railleurs. Et, aussitôt, le souvenir de ses baisers revint, brûlant et indésirable.
— C'est votre premier Noël au palais, n'est-ce pas ? Vous avez la tête du ravi de la crèche qui s'émerveille de tout jusqu'au ridicule.
— Que faites-vous ici ? chuchota-t-elle.
— En ma qualité de fils de maréchal estimé de notre empereur, je suis officiellement invité à chaque fête.
— Vous n'y venez jamais.
— M'y guetteriez-vous ?
— Mais que vous êtes agaçant, monsieur Niel, souffla-t-elle d'un ton agacé.
Elle pivota à temps pour accueillir le précepteur de Louis-Napoléon qui approchait d'un bon pas, et entendit sa voix murmurer derrière elle :
— Que de pensées chrétiennes à la sortie de la messe. Prenez garde, mon chou, vous me ressemblez chaque jour davantage.
Elle n'eut pas le temps de répliquer vertement, Augustin Filon s'inclinait devant elle pour lui souhaiter bonsoir. Le pauvre devait se faire mal à descendre plus bas que terre, mais il avait acquis son côté précieux à l'Ecole Normale Supérieure, et il ne s'en serait détaché pour rien au monde. Aussi mordit-elle sa lèvre pour s'empêcher de rire et se confondit-elle en une révérence gracieuse. Derrière elle, Aaron observa la courbe de sa nuque ployer et la crinoline de sa robe en Chintz onduler en suivant le salut élégant de la jeune fille. Elle n'avait pas beaucoup de robes, le maréchal devait être radin pour la garde-robe de sa fille. Mais elle inventait mille stratagèmes pour renouveler l'apparence de ses tenues, il s'en rendait compte ce soir. Il avait déjà vu ce plissé d'organza orner ce corsage mystérieux, et cette dentelle ancienne le souligner à son tour. Mais le bouillonné de tulle aux manches, lui, était presque neuf ; à coup sûr, il avait été fixé là-haut, dans le secret de sa chambre. Il sourit, recula d'un pas prudent. Augustin Filon décrivait maintenant la dernière réunion normalienne – qui devait à tout prix rester secrète, mais il comptait sur la discrétion de la demoiselle en qui il avait bien évidemment toute confiance – et la main postée derrière son dos était secouée d'un tic nerveux. Nul doute que l'universitaire tenait à faire bonne impression vis-à-vis de la jeune suivante d'Eugénie, en dépit de ses origines plus qu'obscures. Il gagna l'obscurité bienfaisante des rideaux pourpres de l'une des six longues fenêtres ; d'ici, il verrait le simulacre des convenances de la Cour.
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Dans l'ombre du Second Empire
Narrativa Storica1867. Le Second Empire vit ses derniers instants. Depuis l'exil de sa famille en Angleterre, Aaron s'est juré de rendre à la France sa liberté perdue. Napoléon III mourra de sa main, il se l'est juré. Mais le farouche républicain ne pensait pas tom...